.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mercredi 1 février 2023

Cristina Peri Rossi (1941 - Uruguay)


POINT DE RENCONTRE


Je suis tombée sur mon ancien professeur de philosophie
dans un énorme sex-shop presque vide, à part
les cabines des immigrés qui se tapent une branlette.
Moi j’aime bien les sex-shops parce qu’ils me rappellent
les magasins de jouets de mon enfance. J’avais toujours voulu
rester enfermée dans un magasin de jouets,
mais je n’avais pas envie de rester enfermée dans un sex-shop,
simplement d’y jeter un oeil. Ce sex-shop me rappelait aussi
une bibliothèque, avec ses rayons
et ses classements, ici porno hardcore, là vidéos gays, ici
sadomaso, là queers et travestis.
Il n’y avait personne dans le sex-shop, à part le prof et moi,
on n’a pas pu faire autrement que de se saluer et d’échanger
quelques mots.
– J’ai lu ton dernier livre de poèmes – m’a-t-il dit. J’ai beaucoup
aimé. C’est puissant.

C’était la première fois qu’on qualifiait ainsi un de mes livres,
et ça m’a plu. Il n’y avait pas un seul adjectif à ajouter. Puissant.
Comme une Porsche dernière génération.
– Moi j’ai lu vos articles sur la dispute entre Leibniz et
Hobbes – lui ai-je dit – dans le dernier numéro de la revue
de l’université.
À ce moment-là est entré un homme avec une femme. Ils ont
demandé une bite de vingt-huit centimètres de long et cinq
de diamètre et un bon lubrifiant antiallergique, parce que le
dernier qu’ils avaient acheté leur avait provoqué une éruption
au pénis et une papule au clitoris.
– J’ai aussi écrit sur les lettres de Simone de Beauvoir à Sartre
– m’a-t-il informée. Les dernières lettres, les inédites.
Le vendeur leur expliquait comment il fallait mettre les piles
dans le vibromasseur et l’homme lui a demandé s’il lui ferait
un prix si en plus il prenait une cravache avec un manche en
cuir.

– Celles qui ont été publiées après sa mort ? – j’ai demandé
au professeur. Je ne les ai pas encore lues.
On était dans le rayon des gros seins, mais on ne regardait
nulle part, comme si nous étions au parc. J’ai pensé que je
lui barrais le chemin vers une des cabines, alors j’ai pris un
film sur les orgasmes multiples entre bisexuelles et je me suis
dirigée vers la caisse.
– Je t’enverrai l’article quand il sera publié – m’a dit le professeur,
sans bouger du rayon.
Les cabines étaient à quelques mètres.
Je suis sortie du sex-shop en me disant que j’avais dépensé
quinze euros pour un film que je ne voulais pas. Moi je voulais
celui des gros nichons.


PUNTO DE ENCUENTRO


Me encontré con mi antiguo profesor de filosofía
en un enorme sex shop casi vacío, si descontábamos
las cabinas de los inmigrantes que se hacen la paja.
A mí me gustan los sex shop porque me recuerdan
las jugueterías de mi infancia. Siempre había querido
quedar encerrada en una juguetería,
pero no tenía ganas de quedarme encerrada en el sex shop,
solo echarle un vistazo. Ese sex shop me recordaba también
a una biblioteca, con sus anaqueles de separación
y sus clasificados, aquí porno duro, aquí videos gay, aquí
sadomaso, allá queers y travestis.
No había nadie en el sex shop, salvo el profe y yo, de modo
que no tuvimos más remedio que saludarnos e intercambiar
algunas palabras.
–Leí tu último libro de poemas –me dijo–. Me gustó mucho. Es
poderoso.

Era la primera vez que alguien calificaba así uno de mis libros,
y me gustó. No había que agregar un solo adjetivo más.
Poderoso. Como un Porsche última generación.
–Yo leí sus artículos sobre la disputa entre Leibniz y Hobbes –le
dije– en el último número de la revista de la universidad.
En ese momento entró un hombre con una mujer. Pidieron un
pene de veintiocho centímetros de largo y cinco de diámetro y un
buen lubricante que fuera antialérgico, porque el último que habían
comprado le había hecho salir un sarpullido en el pene y a ella un
habón en el clítoris.
–También he escrito otro sobre las cartas de Simone de Beauvoir a
Sartre –me informó–. Las últimas cartas, las inéditas.
El vendedor les estaba explicando cómo había que meter las pilas
en el vibrador y el hombre de la pareja le dijo si hacían descuento
si además se llevaba una fusta con manguito de cuero.

–¿Las que se publicaron después de su muerte? –le pregunté al profesor–.
No las leí todavía.
Estábamos en la sección correspondiente a grandes tetas, pero no
mirábamos hacia ningún lado, como si estuviéramos en el parque.
Yo pensé que le estorbaba el camino hacia una de las cabinas, así
que cogí una película sobre orgasmos multiples entre bisexuales y me
dirigí a la caja.
–Te mandaré el artículo en cuanto se publique –me dijo el profesor,
sin moverse del pasillo. Las cabinas estaban a pocos metros.
Salí del sex shop pensando que me había gastado quince euros en una
película que no quería. Yo quería la de grandes tetas.