.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mercredi 1 février 2023

Ana Arzoumanian (1962 - Argentine)

 

Milena ou les lettres sans adresse (fragment)

 

  C’est ce qui reste de Milena. C’est ce que me dit ton ami du camp. Et moi je pensais à la grammaire, aux verbes transitifs. Écorcher. Quitter la peau, équarrir, dépecer. Les Assyriens clouaient la peau écorchée sur les murs de leur ville. En général on essayait de maintenir intacte la portion de peau arrachée.

  Le coup naît de la mort du mouvement.

  Le bœuf écorché de Rembrandt, la représentation d’une fin. Une femme qui épie l’intérieur, au fond du tableau. Un intérieur, une cave, une femme avec une coiffe. La femme du boucher et au premier plan : le bœuf pendu à une barre de bois.

  Arracher la peau des pattes arrières vers l’avant et la tirer en un seul morceau. Retirer le pelage en direction des épaules. Le pelage est un peu plus tendu. Couper par en dessous, aux membranes.

  Pendant le dépeçage et l’étirement les parties génitales seront encore unies au pelage.

  Je dépèce doucement en arrivant aux avant-bras. C’est une zone très grasse. J’utilise les doigts et j’y vais doucement. Je retire le pelage en-dessous des épaules jusque près des coudes. Je fais une petite coupure.

  J’observe le visage. Avec le couteau je coupe autour des yeux et des oreilles. Je continue de retirer le pelage jusqu’à le détacher presque complètement.

  Un grattoir à viande est un petit couteau affilé qu’on utilise pour retirer la chair sur le pelage.

  Je me répète : faire attention de ne pas me couper.

  Je laisse le pelage suspendu dans un lieu frais et obscur, un jour ou une semaine.

  C’est ce qui reste de Milena, me dit ta compagne de camp.

  Une amie, un cadeau, une dent. Première preuve irréfutable de ta mort.

  Dans cet amour toi tu es le couteau avec lequel je m’explore, t’écrivait Franz dans une lettre de septembre 1920.

  Je n’ai pas pensé à toi quand on a sonné à la porte, maman.

  Une chauve-souris, un corps vivipare qui est un mammifère et non un oiseau. C’est le nectar qui brille, non le vol. Absente de sa mère, cette goutte de lait. Je m’approche. Trouble, l’odeur savonnée de viscères. C’est là, là, où je pense lui arracher un morceau pour me souvenir du trou puant.

  Je n’ai pas pensé à toi quand on a sonné à la porte, maman.

 

 

 

  Esto es lo que queda de Milena. Eso me dijo tu amiga de campo. Y yo pensaba en gramáticas, en verbos transtivos. Desollar. Quitar la piel,  cuerear, despellejar. Los asirios clavaban la piel desollada en el muro de su ciudad. Generalmente se intentaba mantener intacta la porción de piel arrancada.

  El golpe nace  de la muerte del movimiento.

  El buey desollado de Rembrandt, la representación de un final. Una mujer que atisba el interior, al fondo del cuadro. Un interior, un sótano, una mujer con cofia. La mujer del carnicero y en primer plano: el buey colgado de una barra de madera.

  Sacar la piel desde las patas traseras hacia delante estirándolo en una sola pieza. Retirar el pelaje en dirección a los hombros. El pelaje es un poco más tenso. Cortar por debajo, en las membranas.

  Durante el despellejamiento y estiramiento los genitales estarán todavía unidos al pelaje.

  Desuello despacio al llegar a los antebrazos. Es una zona muy grasosa. Uso los dedos y voy despacio. Retiro el pelaje por encima de los hombros hasta llegar cerca de los codos. Hago un pequeño corte.

  Observo la cara. Con el cuchillo corto alrededor de los ojos y los oídos. Sigo retirando el pelaje hasta que sale casi por completo.

  Un raspador de carne es una cuchilla pequeña y afilada que se usa para retirar la carne que se encuentra en el pelaje.

  Me repito a mí misma: tener cuidado de no cortarme.

  Dejo el pelaje colgado de un lugar fresco y oscuro, un día o una semana.

  Esto es lo que queda de Milena, me dice su compañera de campo.

  Una amiga, un regalo, un diente. Primera prueba irrefutable de que estabas muerta.

  En este amor vos sos un cuchillo con el cual yo me exploro, te escribía Franz en una carta de septiembre de 1920.

  No pensé en vos cuando tocaron la puerta, mamá.

  Un murciélago, un cuerpo vivíparo que es un mamífero y no un pájaro. Es el néctar lo que brilla, no el vuelo. Ausente de su madre, esa gota de leche. No tiene nombre lo que se ahueca, es puro ruido. Me acerco. Turbio el olor enjabonado de vísceras. Es ahí, ahí, donde pienso que le arrancaré un pedazo por recordarme el hueco maloliente.

  No pensé en vos cuando tocaron la puerta, mamá.