.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


samedi 12 mars 2022

Ramona de Jesús (1990 – Colombia)


CONSIDÉRATION SUR

LE THÉÂTRE ALLEMAND

 

 

aujourd’hui tu as encore mangé de la soupe à la citrouille

debout devant la fenêtre et tu as pris une douche

pour recevoir la femme que tu as connue

hier à la boulangerie où tu achètes le

journal que tu lis les matins. lentement

assis à table, tu bois un café au lait

tu manges du pain avec du fromage, tu es le geste

d’un autre temps, un drôle d’oiseau dans une boîte

blanche avec de grands murs typish Altbau. tu es

l’image vivante de l’Europe avec ton affiche de

Rothko que je déteste et j’oublie de te dire

que je déteste, mais la meuf qui te rend visite on dirait

bien qu’elle s’en fout, elle ne la regarde pas, même toi

elle ne te regarde pas, elle arrange ses cheveux, son bob

élégant. il y a du vin dans des tasses, Brecht entre dans

la conversation et les jambes dans le lavabo

des langues et qui, dis-moi, qui

pourrait faire l’amour du premier coup

sans pauses, sans hésitations, sans erreur. toi et

l’image vivante de l’Europe, un drôle

d’oiseau quand la meuf s’en va et tu restes avec

la main entre les jambes, la télé allumée

avant de me fermer le store dis-moi où

est ton lit, si tu dors recroquevillé ou combien

de fois tu éteins le réveil. je reste avec

mes questions entourée de mégots, en-dehors

de ton rêve, sur le rivage de ton Europe,

dans ton obscurité. je te promets que la prochaine

fois que je te rencontre je crierai :

« Facundo, Facundo laisse la lumière allumée

cette nuit » même si tu ne réponds pas à

mon appel, même si ce n’est pas ton nom.

 

 

CONSIDERACIONES SOBRE

EL TEATRO ALEMÁN

 

hoy también cenaste sopa de calabaza

de pie junto a la ventana y te has duchado

para recibir a la mujer que conociste

ayer en la panadería donde comprás el

diario que leés en las mañanas. despacio

a la mesa sentado, tomás el café con leche

comés el pan con queso. sos el gesto de

un tiempo otro, un bichito raro en una caja

blanca de paredes altas typisch altbau. sos

la viva imagen de europa con tu afiche de

rothko que odio y que olvido decirte que

odio, pero que a la flaca que te visita parece

no importarle, pues ni lo mira ni te mira

a vos, sino que se arregla su pelo, su delicado

bob. hay vino en tazas, entra Brecht a la

conversación y las piernas en el lavaplatos

de las lenguas y quién, decime, quién

pudiese hacer el amor de un solo intento

sin pausas, sin titubeos, sin error. vos y

la viva imagen de Europa, un bichito

raro cuando se va la flaca y te quedás con

la mano en la entrepierna, con la tele prendida

antes de cerrarme la persiana decime dónde

está tu cama, si dormís acurrucado o cuántas veces

apagás el despertador. me quedo con las preguntas

rodeada de colillas, afuera de tu sueño, a orillas

de tu Europa, a oscuras de vos. te prometo que

la próxima vez que te encuentre voy a gritar:

«facundo, facundo dejá las luces encendidas

esta noche» aunque no vayas a responder a mi

llamado, aunque ese no sea tu nombre.