A LES CINC DE LA TARDA
La mémoire fouille dans la décharge de l’oubli ;
elle en sort des bouts de vieux os de jours de torture,
on les expose à la lumière et les met en vente.
Regarde ! Celui-là appartient à ton grand-père ;
l’autre appartient à ta tante ;
en voilà un qui appartient à S et un autre à M.
Emballés dans des drapeaux et scellés de fils de fer
on les promènent dans les rues,
on les peint de plaquettes coagulées,
les crânes ne sont pas vendus à bon prix
alors on les jette dans le fleuve,
des restes de cervelles tombent dans le précipice.
On dit qu’il y avait des poètes parmi eux, des républicains persécutés,
qui parlaient comme des chiens et faisaient de la farine avec des pierres
qu’ils ont traversé des montagnes
et que dans leur fuite ils ont perdu leurs espadrilles ;
et comme ça les pieds nus et rongés dans la forêt dense
ils ont vu leur souffle se couper à la frontière.
Jamais libres, ils ont fait la promesse qu’un jour
ils reviendraient dans d’autres corps,
à n’importe quelle époque de n’importe quel siècle
ils étaleraient du gravier et de l’albâtre
et donneraient des pelles pour dissiper la boue.
Les champs leur appartiendraient et leurs mers seraient chastes.
Plongés parmi des coraux célestes ils retourneraient aux îles
et là changeant l’histoire ils se fondraient
dans un soleil d’automne éternel
a les cinc de la tarda
A LES CINC DE LA TARDA
La memoria escarba en el vertedero del olvido;
saca pedazos de huesos viejos de días de tortura,
los exhiben a la luz y los pone a la venta.
¡Mira! Ese es de tu abuelo;
el otro es de tu tía;
uno es de S y el otro de M.
Cerrados y embalados con banderas y alambres
los pasean por las calles,
los pintan de plaquetas coaguladas,
los cráneos no se venden a buen precio
y se arrojan al río,
restos de sesos parten al precipicio.
Dicen que había poetas entre ellos, republicanos perseguidos,
que hablaban como perros y de las rocas hacían harina
que atravesaron montañas
y en medio de la fuga perdieron sus alpargatas;
y así descalzos y roídos por la espesura del bosque
vieron su aliento cercenarse en la frontera.
Nunca libres, prometieron que un día volverían en otros cuerpos,
en cualquier época de cualquier siglo
repartirían grava y alabastro
y darían palas para desvanecer el fango.
Sus campos serían propios y sus mares castos.
Sumergidos en corales celestes volverían a las islas
y allí cambiando la historia se fundirían
en un sol eterno de otoño
a les cinc de la tarda