LES PETITES COPINES DE JOHN
SNAKE
et se soûlent
dès 10 heures du matin / mais elles perdent
définitivement contenance en fin d’après-midi.
Alors elles crient délurées
par-dessus les boléros
et les rancheras
de Paquita La Del Barrio.
Les gentilles demoiselles
ne supportent pas les coups de fouet
et autres débauches (psychologiques / corporelles / anales /
et même télépathiques)
de John Snake / qui fait très attention à lui
et ne mentionne jamais ces bagarres infâmes
dans ses mémoires.
Ses élégants poèmes / par contre /
semblent écrits par ces poètes du système / séducteurs /
qui portent costume et cravate
et cultivent les amitiés dans les hautes sphères.
Ses élégants poèmes, disais-je,
ne parlent que d’amours insupportables
longs / tièdes / chiants / Et de demoiselles immortelles
qui s’étendent romantiques dans le crépuscule /
Johnny croit tromper le respectable public
avec ses masques et ses fuites impossibles
dans le pur style Houdini.
Mais la réalité est toute différente :
cultiver l’art de la fugue
est une répétition de l’inutilité,
cher Johnny.
Tout le monde sait que tu es un autre-fils-de-pute-
de-plus-dans-ce-monde-bourré-de-grands-et-fameux-et-
même-héroïques-et-admirables-fils-de-pute.
Ahh, John Snake,
si tu savais
comme te trompent tes petites copines.
Même si tu les obliges à porter
des colliers de perles et de gros soutiens-gorges de toile
pour éviter que ressortent les mamelons
sous leur blouse.
Rien n’y suffit.
Ni une ceinture de chasteté électronique.
Rien, cher John.
Elles sont infidèles
pour le délicieux plaisir d’êtres infidèles.
Et elles se marrent. Elles éclatent de rire.
Une simple blague / Rumbeuses de cirque / Métisses de feu /
Et tu crois tout ce qu’elles te disent
au crépuscule
quand elles se soûlent
et portent des colliers de perles
et font les cent pas dans le salon
anxieuses et désespérées / incapables
de rester tranquilles
à côté de toi
à se taper ces monotones
suites de Bach pour violoncelle
que tu écoutes en extase tous les soirs
tandis que tu conçois
comment les aurait écrites Mahler ou Wagner
et que tu t’enfiles du whisky comme de l’eau
et penses que le monde
est un désastre
mais solide.
Non, cher Johnny,
tu n’imagines pas comme tout s’écroule
et s’enfonce dans une merde liquide.
Sous le sol il n’y a aucune solidité / Il y a un marécage
de merde
qui empeste de façon répugnante.
Les cafards
les vers puants
et toi Johnny
et tes petites copines infidèles et sarcastiques
n’ont aucune importance.
Je pense que tu te noieras dans la merde
et le marécage noir
Il n’y a plus de lumière / et tu t’enfonceras
comme un crétin
perdu dans cette île
aux crépuscules dorés.
Il n’y a pas de salut pour toi.
Une fois de plus
tu t’enfonceras dans la merde du bordel
et les suites de Bach pour violoncelle
seront le dernier bruit qui s’en ira avec toi
jusqu’au fond du marécage.
Adieu, Johnny,
cher Johnny.
●
LULU LA PERDUE
I
Cette
femme si élégante et raisonnable
si
professeure-intelligente-je-sais-tout
m’attaque,
toujours en privé :
tu es un
carnivore dégueulasse et tu pues
tu dois
manger des légumes et des fruits.
Des
légumes frais crus et boire de l’eau minérale.
Tu pues
comme un lion
c’est
répugnant, tu me dégoûtes.
En plus
tu es paranoïaque
il faut
que tu t’organises
pour
augmenter ta projection internationale.
Tu files
un mauvais coton / dans ce monde
on ne
peut pas vivre comme ça /
dans les
airs / flottant / Tu es en Europe
ici les
femmes ont d’autres besoins
une
autre sensualité
un autre
niveau de consommation / il faut vivre
sur un
mode supérieur / un homme inutile
et sans
argent ça ne compte pas / tout simplement
ça ne
compte pas / tu m’entends / réponds Johnny /
Je me
tais
et je la
regarde hypnotisé :
/
pourquoi tu deviens si agressive ? / je lui demande.
Mais
elle n’écoute pas et continue
à
décharger son stress.
Je ne
sais même pas de quoi elle parle.
Elle dit
que j’offense les femmes
avec ma
pauvreté et ma bêtise :
La
poésie ne donne pas d’argent / ne sois pas stupide /
prestige,
prestige / avec quatre pékins
qui
lisent ta poésie / tu agis comme un imbécile /
Et je
l’écoute
avec
sérénité
Pourquoi
j’en supporte autant ?
Parce
qu’elle m’excite
quand
elle s’habille en pute et me raconte ses histoires ?
Elle met
des annonces dans les journaux :
« Lulu
la perdue, hôtel de luxe uniquement, haut standing,
je te
promets des surprises que tu n’imagines même pas ».
II
Je
m’embrouille.
Devant
tout le monde je suis Le Grand Johnny,
Big
Johnny,
un poète
fascinant et monstrueux
qui dans
des vies antérieures
a été
successivement
chef de
tribu, avec une petite horde sauvage à sa charge
gladiateur
samouraï
princesse
idiote, vieille fille, laide et mauvaise
moine
bouddhiste et fameux poète zen
propriétaire
d’un bordel à Calcutta
vendeuse
d’huitres et de fruits de mer à Brest, mère de 6 enfants
trafiquant
d’esclaves
pute au
port de Bologne
guerrier
maya
simple
noire avec 8 enfants dans un hameau africain
bourreau
opérationnel de guillotines
prostituée
à Liverpool
capitaine
de pirates lesbiennes
geisha à
Osaka
négociant
en toiles et cuirs à la Jamaïque et la Nouvelle-Orléans
marin
sodomite
et
d’autres vies misérables et épouvantables
que je
préfère oublier / y compris
plusieurs
enlèvements
et
finalement le grand et fameux Big Johnny,
John
Snake,
summum
parfait de mes vies antérieures les plus agréables
Et Lulu
est mon petit paradis idéal / avec sa double vie :
pute de
nuit
et de
jour la grande philologue la quarantaine célibataire
sérieuse,
disciplinée, ennuyeuse, qui s’habille de noir / à califourchon
sur le
poète / ma découvreuse géniale /
Elle
fait mon éloge continuellement et répète à voix haute :
Oh, il
est adorable, sa poésie est incroyable / Il a dix ans
d’avance
sur tous les poètes européens ».
Jusque
là tout va bien.
III
Mais en
privé elle transmute en Lulu la perdue
avec ses
dessous noirs, ses dentelles et talons aiguilles.
Des
crocs lui poussent
Elle
invente des histoires / je soupçonne pourtant qu’elles soient vraies /
de hauts
cadres nord-américains
qui la
payent de petites fortunes
et lui
font vivre des moments stellaires.
Ils
baisent dans les toilettes des avions
et des
cafés de luxe
dans des
cimetières de villages
dans des
châteaux abandonnés
et même
dans des iglous d’esquimaux. / Ils me payent excessivement, Johnny
et ça
m’excite. / Je veux toujours plus d’argent et plus de sexe /
maintenant
j’ai un
client fixe deux fois par semaine / un noir très grand
de New
York / Très mystérieux / Je le soupçonne d’être du FBI ou de la CIA /
Il a un
pistolet et trois téléphones portables / une bite gigantesque / Il peut
juste
m’en mettre un petit bout / un vrai sauvage / Oh, ce noir, mon Dieu /
Quand il
s’en va il sort mille dollars et me les donne sans compter / comme
si
c’était de la petite monnaie /
IV
N’importe
quand Lulu peut appeler
pour
m’inviter chez elle :
« Oh,
je suis seule et j’ai besoin de toi
après
tout tu es mon poète préféré ».
J’en ai
marre.
Je me
sens
et ma
peau pue la chair pourrie.
Je
commence à me dégoûter moi-même.
Je suis
une hyène répugnante.
Il faut
que je pense à ce truc des légumes
et
éviter Lulu la perdue
parce
que je m’embrouille trop.
Je dois
m’éloigner
mais
elle va m’appeler
et la
luxure répondra pour moi.
Oui, ok,
Lulu, ce soir.
Je suis
un microbe luxurieux alcoolique et perverti.
Spectaculaires
ses orgasmes sans pénétration / C’est une artiste
de
l’orgasme prolongé / 3-4-5-minutes-éjaculant /
parfois
je crois que c’est juste du théâtre.
Trois
orgasmes consécutifs / chacun 5 minutes /
Et sans
pénétration / elle court et crie dans la chambre /
Oh, non,
je deviens fou avec Lulu.
Toujours
avec ses jeux.
Elle
suce mon beau phallus en or
et je
suce son clitoris et ses lèvres / déjà elle part /
et moi
derrière elle à travers la chambre
essayant
d’enfiler son petit vagin étroit et rose
mais
elle dit que c’est du machisme, du sous-développement :
« La
pénétration est offensive, Johnny. je me laisse juste pénétrer
pour de
l’argent, je suis désolée » / « Je ne te crois pas, Lulu, tu veux juste
faire
chier le mâle ».
C’est
toujours pareil.
Que le
mâle aille se faire foutre
qu’il
enlève le préservatif et se retire
ou qu’il
se masturbe
dans le
lavabo.
Faut pas
tacher le tapis.
Mais ça
continuera de la même façon.
La chair
est faible.
J’aime
sa schizophrénie féministe antipénétrante
Serais-je
masochiste ?
V
Le
jour suivant
elle
dit à ses copines philologues
que
le grand poète venu d’outre-mer
pourrait
au moins apporter une bouteille de whisky :
« Il
picole comme un cosaque
et
me fait payer
tout
ce qu’il boit.
Il
n’apporte jamais ni une olive.
C’est
un parasite ce Johnny / Il se prend
pour
mon maquereau ? »
Je
suppose que ça l’excite encore plus.
Elle
cache son costume de Lulu la perdue
et
fait sa sainte-nitouche.Très
européenne la professeure
intelligente
et analytique.
Victime
du tigre.
Le
tigre qui accumule du sperme
comme
un couillon.