Adieux
Tu marches comme un incendie de forêt
Puma, mon bien-aimé
Comment te suivre
René
Char
Je suis
désolé, père,
mais je vais
partir avec mon ami Lisandro
cette nuit
même.
On ne sait pas
trop où encore,
dans le
Michigan ou à Hong-Kong,
peu
importe : on regardera la lune
par la fenêtre
du train
et la ville qui
s’éloigne, toute petite avec la distance.
Même si Lisandro
est, comme tu dis,
un ivrogne
perdu.
Même si ça semble
un peu tard
pour nous
(c’est toujours un peu tard).
On
va partir.
Je suis en
train de faire mon sac
en ce moment,
et aucune larme
ne me fera voir
avec nostalgie
les choses que
je laisse derrière moi.
Le temps,
père, lui aussi s’éloigne
et je ne veux
pas finir mes jours
comme une
météorite désenchantée.
Être bon c’est
une belle chose, mais être
mauvais comme
mon ami Lisandro, crois-moi
c’est
infiniment meilleur… – même s’il se drogue
parfois, je
veux partir avec lui
et connaître
tous ses amis,
cette bande de
feignants crapuleux et rieurs
qui dorment
toute la journée, et qui la nuit
boivent des
litres et des litres de bière, et jouent aux cartes.
Même si tu ne
le comprendras jamais
et jamais tu ne
me pardonneras.
Même si mon
frère a honte de moi
et ne me dit
plus bonjour.
Je vais partir :
c’est décidé.
On dormira
ensemble
à l’arrière
d’un camion
et au réveil,
peut-être, nous serons déjà en Bolivie.
On fera ça :
on ira en Bolivie
comme deux
tourtereaux, pris du mal des montagnes
à cause de l’étrange
amour qu’on se porte.
Ensuite, qui sait…
On fera
peut-être quelque chose de très
petit ou de
grandiose, on rejoindra
la guérilla
révolutionnaire
(ce que dieu
voudra, pourvu qu’on parte
et abandonne
cette existence vide, pour toujours).
Même si la
rumeur du monde
n’est rien que
ça : l’immense
fraîcheur des arbres
que moi et
Lisandro (l’âne en tête)
imaginons
quand nous sommes ensemble
ou séparés.
Douces
ou amères ces
heures de bringue et de mélancolie
auprès du
garçon le plus beau et
le plus
vicieux de cette ville…
Bref, adieu,
adieu à tous ! Adieu père.
Je pars avec
mon ami Lisandro
(mon Puma, mon Bien-aimé) cette nuit même.