.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


jeudi 12 octobre 2017

Osvaldo Bossi (1963 - Argentine)





Adieux 
  
                        Tu marches comme un incendie de forêt
                                                      Puma, mon bien-aimé
                                                           Comment te suivre
                                                                        René Char


Je suis désolé, père,
mais je vais partir avec mon ami Lisandro
cette nuit même.
On ne sait pas trop où encore,
dans le Michigan ou à Hong-Kong,
peu importe : on regardera la lune
par la fenêtre du train
et la ville qui s’éloigne, toute petite avec la distance.

Même si Lisandro est, comme tu dis,
un ivrogne perdu.
Même si ça semble un peu tard
pour nous (c’est toujours un peu tard).
                                               On va partir.

Je suis en train de faire mon sac
en ce moment, et aucune larme
ne me fera voir avec nostalgie
les choses que je laisse derrière moi.

Le temps, père, lui aussi s’éloigne
et je ne veux pas finir mes jours
comme une météorite désenchantée.
Être bon c’est une belle chose, mais être
mauvais comme mon ami Lisandro, crois-moi
c’est infiniment meilleur… – même s’il se drogue
parfois, je veux partir avec lui

et connaître tous ses amis,
cette bande de feignants crapuleux et rieurs
qui dorment toute la journée, et qui la nuit
boivent des litres et des litres de bière, et jouent aux cartes.

Même si tu ne le comprendras jamais
et jamais tu ne me pardonneras.
Même si mon frère a honte de moi
et ne me dit plus bonjour.
                        Je vais partir : c’est décidé.

On dormira ensemble
à l’arrière d’un camion
et au réveil, peut-être, nous serons déjà en Bolivie.
On fera ça : on ira en Bolivie
comme deux tourtereaux, pris du mal des montagnes
à cause de l’étrange amour qu’on se porte.
                                                 Ensuite, qui sait…

On fera peut-être quelque chose de très
petit ou de grandiose, on rejoindra
la guérilla révolutionnaire
(ce que dieu voudra, pourvu qu’on parte
et abandonne cette existence vide, pour toujours).

Même si la rumeur du monde
n’est rien que ça : l’immense
fraîcheur des arbres
que moi et Lisandro (l’âne en tête)
imaginons quand nous sommes ensemble
ou séparés.

                        Douces
ou amères ces heures de bringue et de mélancolie
auprès du garçon le plus beau et
le plus vicieux de cette ville…
Bref, adieu, adieu à tous ! Adieu père.
Je pars avec mon ami Lisandro
(mon Puma, mon Bien-aimé) cette nuit même.