Le Patron
Il est six heures du matin quand la guérilla cerne
le village et commence à tirer sur les paramilitaires. Le combat est confus,
les guérilleros lancent une bouteille de gaz ou une bombe sur leur base,
là-bas, après le manguier.
L’explosion s’entend à un kilomètre à la ronde, les
gens courent, les mères prennent leurs enfants, les traînant derrières elles.
Tout le monde fuit d’angoisse, de désespoir, sous le sifflement des balles. Á
midi le calme revient, le soleil étouffe encore plus, prédiction d’orage, la
perversité est latente.
Le Patron arrive, ses hommes réunissent le village
pour leur dire qu’ils sont des guérilleros, des auxiliaires de ces bandits, ils
ont des informations, ils ont collaboré à l’attentat, c’est pourquoi ils ont
l’après-midi pour déguerpir. « Ce n’est pas une menace, on revient ce
soir, si on trouve quelqu’un, il en paiera les conséquences »
décrète-t-il, comme s’il était le maître des lieux.
Des habitants quittent l’endroit, d’autres se
cachent dans les environs, avec l’espoir de revenir dans quelques jours.
Presque deux cent familles sont déplacées, laissant leur maison, leur terre, le
matériel, les semis de maïs, les vaches, les chiens, quelques chats, ils n’ont
emporté ni les canards ni les chèvres.
Les paramilitaires débarquent le soir et fouillent
tout, saisissent les provisions, attrapent les poules qui déambulent. Ils
restent plusieurs mois, ils occupent les logements, montent un campement. Le
Patron s’y établit avec quatre cent hommes, ils ont pour mission de mener des
opérations de combats contre la guérilla, cette plaie qui pousse comme la mauvaise
herbe, plus on la coupe plus elle grandit.
Sur les routes ils font des barrages illégaux, ils rançonnent,
s’emparent des animaux, des cultures, des personnes aussi. Ils ont des filles
pour leur faire la cuisine, ils les ramènent des alentours, ils obligent les
garçons à surveiller, sentinelles.
Le Patron aime les garçons. Il les force la nuit à
venir le retrouver dans sa tente, ceux qui y vont sont traités avec plus de
considération, ils peuvent dormir tout le dimanche.
L’un d’entre eux raconte qu’il lui fait mettre des
culottes de fille. Avec son corps naissant, il peut sans peine cacher ses
parties masculines. Imberbe, le visage pur, de grands yeux, on dirait un ange,
créature descendue du ciel pour visiter ces terres, chérubin disposé à gâter le
Patron, en l’embrassant et lui offrant la douceur de sa peau.