.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


jeudi 19 février 2015

Julio Llamazares (1955 – Espagne)






Ma mémoire est la mémoire de la neige. Mon cœur est blanc comme un champ de bruyères.

Sur des lèvres jaunes le refus fleurit. Mais il existe un noyer où habite l’hiver.

Un noyer lointain, réfléchi sur l’eau, où viennent mourir de très vieux guerriers.

Dans un même dehors se défont les heures et la désolation ronge les signes du suicide :

globes entre les branches du silence et un animal sans nom qui s’épaissit dans mon visage.



Mi memoria es la memoria de la nieve. Mi corazón está blanco como un campo de urces.

En labios amarillos la negación florece. Pero existe un nogal donde habita el invierno.

Un lejano nogal, doblado sobre el agua, a donde acuden a morir los guerreros más viejos.

En un mismo exterior se deshacen los días y la desolación corroe los signos del suicidio:

globos entre las ramas del silencio y un animal sin nombre que se espesa en mi rostro.





Inutile de revenir aux lieux oubliés et perdus, aux paysages et symboles qui ne sont de personne.

Il n’y a là plus aucune liturgie millénaire. Ni huile fermentée dans des amphores d’argile.

Les anciens sont morts. Les animaux errent sous une pluie noire.

Il n’y a plus rien ici que l’ellipse du fleuve des morts,

la douceur gelée du gui coupé, des paysages brûlés par le temps.



Inútil es volver a los lugares olvidados y perdidos, a los paisajes
y símbolos sin dueño.

No hay allí ya liturgias milenarias. Ni aceite fermentado en ánforas de barro.

Los ancianos han muerto. Los animales vagan bajo la lluvia negra.

No hay allí sino la lenta elipsis del río de los muertos,

la mansedumbre helada del muérdago cortado, de los paisajes abrasados por el tiempo.





Qu’est-ce que j’attends encore de la spirale du temps, de ces cornes épilogues qui résonnent dans les forêts?

Qui s’obscurcit près de mon cœur gelé?

Par le paysage gris de ma mémoire, traversent des muletiers sans retour, des bergers et des potiers oubliés, des bardes noyés dans la peur lacustre de leurs propres légendes.

Je suis seul, dans cette dernière nuit, couronné de vent et de fleurs mortes.

Je suis seul, dans cette dernière nuit, comme un taureau de neige qui brame aux étoiles.



¿Qué espero aún de la espiral del tiempo, de esos cuernos epílogos que suenan en los bosques?

¿Quién atardece junto a mi corazón helado?

Por el paisaje gris de mi memoria, cruzan arrieros sin retorno, pastores y alfareros olvidados, bardos ahogados en el miedo lacustre de sus propias leyendas.

Solo estoy, en esta noche última, coronado de cierzo y flores muertas.

Solo estoy, en esta noche última, como un toro de nieve que brama a las estrellas.