.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


samedi 22 décembre 2012

Martha Kornblith (1959-1997, Venezuela)




C’est pour ça que nous dédions nos livres
aux morts.
Parce qu’on a la vaine conviction
qu’ils nous écoutent.
Nous, complices de fonctions
moins innocentes,
croyons que nous serons des dieux
dans un autre monde
parce qu’on pense que le bonheur
est la distance du miracle
quand on rêve avec un mot,
quand on voit s’élever les avions.

C’est pour ça que je suis devenue poète
parce que le temps lentement passe en solitude.
N’est-ce pas à peine un dangereux instant
ce qui soutient notre raison ?
La folie ne dépend-elle pas
de notre unique et fragile corde ?
N’est-elle pas suspendue à un seul terme,
au terme précis
qui nous sauve
ou nous condamne ?



Por eso dedicamos nuestros libros
a los muertos.
Porque tenemos la vana convicción
de que nos escuchan.
Nosotros, cómplices de oficios
menos inocentes,
creemos que seremos dioses
en otros mundos
porque pensamos que la felicidad
es la distancia del milagro
cuando soñamos con una palabra,
cuando vemos alzarse los aviones.

Por eso me volví poeta
porque pasa lento el tiempo en soledad.
¿No es apenas un peligroso instante
lo que sostiene nuestra cordura?
¿No depende la locura
de nuestra única, frágil, cuerda?
¿No pende ella de un solo término,
del preciso término
aquel que nos salva
o nos condena?



 
 
Clinique Monserrat

Il était permis
de s’enivrer d’eau pour oublier
ce que nous n’étions pas,
puisqu’en fin de compte
tout avait perdu son goût.

Nous étions
des êtres expulsés de l’Éden du monde,
pour nous
il n’y avait pas de lumière,
on nous avait laissés
derrière les paradis.

Sanglants étaient les adieux,
la veille, de celui
qui s’en allait rêver
qu’un jour il ouvrirait la porte.

On s’est tous dit
allons visiter un monde meilleur,
mais nous n’avons pas tenu la promesse.

Entre les murs nous étions avides
d’un horizon invisible pour nous
comme une annonce qui promet
une île de mer cristalline.

Nous attendions nos docteurs
en pétrissant le pain du déjeuner
pour leur faire croire
que nous existions encore.
Aux heures les plus rances
on se prenait par le bras.

Parfois on nous donnait la permission
de se mettre au soleil
pour éviter de nous voir.

Les livres circulaient,
Wayne Dyer, Buscaglia,
Comment vivre une vie heureuse,
L’université de la vie,
entre autres.
Pour les plus sages
la poésie était un lieu
où orchestrer sa fuite.

Il y avait un homme.
Il m’a offert Laing et Cooper
et bien qu’il ait prêché l’antipsychiatrie là-bas
il n’a pas survécu à la moquerie
des conjurations médicales.

Il se disait peintre –
il a trafiqué de la drogue et de la dynamite.
Propagé des offres de mariage
qui avaient comme unique garantie
de mauvaises ébauches.
Alors je lui ai montré la psychopathie
dans un poème du colombien Asunción.
Il a fait sauter les murs.

Là-bas j’ai rencontré
les meilleures métaphores.

Mon amie et moi parlions
des concerts de chiens la nuit,
des aboiements qui nous appelaient
croyait-on.
Nous savions que le délire était
une façon de nous tenir
dans les précipices.

Nous organisions des bals
avec de la musique qui ne jouait pas.

Sauf aux heures de peur
on avait encore la possibilité de rire.
Des réunions de plaintes,
de la viande coriace,
des faux mormons
qui prophétisaient de nouveaux avènements.

J’ai prié aussi
un Dieu qui n’était pas le mien
quand on se rassemblait à sept heures
après le dîner.
On avait le droit de mélanger
la légende du Christ
avec celle de David et de Salomon,
parce que tout était bon
s’il s’agissait de trouver
un espoir dans ce temple.

Je ne crois pas que tu as été mauvaise,
clinique Monserrat,
juste que tu avais de bonnes et de mauvaises choses.
Je t’ai oublié quand la liberté
s’est révélée à moi,
elle s’est posée comme un étendard,
comme quelque chose dont je ne suis plus indigne
et qui m’engage
sur un mur de briques
face à une fenêtre désormais ouverte.

Depuis lors
Dieu est quelqu’un
qui ressurgit de ces gribouillages
pour ne pas savoir
qu’existent encore des êtres
qui à l’aube
miaulent à l’unisson
en appelant leur mère.



Clínica Monserrat

Estaba permitido
embriagamos con agua para olvidar
lo que no éramos,
porque al fin y al cabo
todo había perdido su sabor.

Eramos
seres expulsados del Edén del mundo,
para nosotros
no se hacía la luz,
atrás nos habían dejado
los paraísos.

Eran cruentas las despedidas
en la víspera de alguien
que se iba a soñar
que alguna vez abriría la puerta.

Todos nos dijimos
visitamos en un mundo mejor,
pero no cumplimos la promesa.

Ansiábamos entre los muros
un horizonte que no veíamos
como un anuncio que promete
una isla de mares cristalinos.

Esperábamos a nuestros doctores
amasando el pan del almuerzo
para fingirles
que aún existíamos.
En las horas más rancias
nos tomábamos de los brazos.

A veces se nos permitía
echarnos al sol
para no vernos.

Circulaban los libros,
Wayne Dyer, Buscaglia,
Cómo vivir la vida feliz,
La universidad de la vida
y otros.
Para los más sabios
la poesía era un lugar
donde orquestar su huida.

Hubo un hombre.
Me regaló a Laing y a Cooper
y aunque predicó allí la antisiquiatría
no sobrevivió a la burla
de los conjuros médicos.

—Pintor se decía—
traficó con droga y dinamita.
Propagó ofertas de matrimonio
que tenían como única garantía
algunos pésimos bocetos.
Entonces le mostré la psicopatía
en un poema del colombiano Asunción,
Saltó los muros.

Allí encontré
las mejores metáforas.

Mi amiga y yo hablábamos
de conciertos de perros en las noches,
de ladridos que creíamos
nos llamaban a nosotras.
Supimos que el delirio era
una forma de sostenernos
en los precipicios.
Orquestamos bailes
con músicas que no sonaban.

Salvo las horas de miedo
también era posible reír.
De las reuniones de quejas,
de la carne dura,
de falsos mormones
que profetizaban nuevos advenimientos.

También recé
a un Dios que no era el mío
cuando nos juntábamos a las siete
después de la cena.
Nos permitimos mezclar
la leyenda de Cristo
con la de David y Salomón,
porque cualquier cosa era buena
si se trataba de hallar
una esperanza en ese templo.

No creo que fueras mala.
clínica Monserrat,
sólo que tenías cosas buenas y malas.
Te olvidé cuando la libertad
se me reveló,
se posó como un estandarte,
como algo que ya no me desmerece
y me obliga
en un muro de ladrillos
frente a la ventana ahora abierta.

Desde entonces
Dios es alguien
que resurge de esos garabatos
para no saber
que aún hay seres
que en las madrugadas
maúllan al unísono
llamando a sus madres.



 
Martha Kornblith s'est suicidée le 26 mai 1997 à Caracas.