.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


samedi 22 décembre 2012

María Emilia Cornejo (1949-1972, Pérou)




je suis
la mauvaise fille de l’histoire,
celle qui a forniqué avec trois hommes
et mis des cornes à son mari.

je suis la femme
qui l’a trompé quotidiennement
pour un misérable plat de lentilles,
celle qui lui a quitté lentement sa tenue de bonté
jusqu’à le convertir en pierre
noire et stérile,
je suis la femme qui l’a castré
avec d’infinis gestes de tendresse
et de faux gémissements au lit.

je suis
la mauvaise fille de l’histoire.



soy
la muchacha mala de la historia,
la que fornicó con tres hombres
y le sacó cuernos a su marido.

soy la mujer
que lo engañó cotidianamente
por un miserable plato de lentejas,
la que le quitó lentamente su ropaje de bondad
hasta convertirlo en una piedra
negra y estéril,
soy la mujer que lo castró
con infinitos gestos de ternura
y gemidos falsos en la cama.


soy
la muchacha mala de la historia






timide et honteuse
je t’ai laissé m’enlever lentement mes habits,
nue
sans savoir quoi faire et morte de froid
je me suis mise entre tes jambes
c’est la première fois ?
tu m’as demandé,
j’ai seulement pu pleurer
je t’ai entendu me dire que tout allait bien se passer,
de ne pas m’en faire,
je me souvenais des longues discussions de mes parents,
des pleurs désespérés de ma mère
et de sa voix me disant
« ne fais jamais confiance à un homme »

tu as compris ma douleur
et avec une infinie tendresse
tu as couvert mon corps avec ton corps,
il faut que tu ouvres les jambes, tu as murmuré,
et moi je me suis sentie maladroite et affligée



tímida y avergonzada
dejé que me quitaras lentamente mis vestidos,
desnuda
sin saber qué hacer y muerta de frío
me acomodé entre tus piernas
¿es la primera vez?
preguntaste,
sólo pude llorar
oí que me decías que todo iba a salir bien
que no me preocupara,
yo recordaba las largas discusiones de mis padres,
el desesperado llanto de mi madre
y su voz diciéndome
“nunca confíes en los hombres”

comprendiste mi dolor
y con infinita ternura
cubriste mi cuerpo con tu cuerpo,
tienes que abrir las piernas, murmuraste,
y yo me sentí torpe y desolada









seule,
je découvre que ma vie s’est déroulée parfaitement
comme tu l’avais établie

maintenant
quand la sensation d’une chose inachevée,
inachevée et à la fois étrangère
envahit de scrupules mes bonnes intentions,
seulement maintenant
lorsque je m’assois au milieu de tous mes chemins
ligotée à des phrases toutes faites
à des choses qui se font pour les avoir apprises
comme on apprend une leçon d’histoire,
je peux penser
que les conseils n’ont servi à rien
ni les interminables conversations avec ta mère,
et ces longues heures de ma vie
perdues
à d’étranges apprentissages
sur des poids et des mesures
des couleurs
et
des goûts
et
dans la vaine tentative de courir après le soleil
après le vol des oiseaux,
soudain je veux en finir
avec ma douche de tous les matins,
avec mon dernier café,
avec mon agenda soigneusement structuré
de rendez-vous et de visites
auxquels j’assiste ponctuellement
mais il est tard
il fait froid
et je suis seule.



sola,
descubro que mi vida transcurrió perfectamente
como tú lo estableciste

ahora
cuando la sensación de algo inacabado,
inacabado y ajeno
invade de escrúpulos mis buenas intenciones,
sólo ahora
cuando me siento en la mitad de todos mis caminos
atada a frases hechas
a cosas que se hacen por haberlas aprendido
como se aprende una lección de historia,
puedo pensar
que de nada sirvieron los consejos
ni las interminables conversaciones con tu madre,
y esas largas horas de mi vida
perdidas
en aprendizajes extraños
sobre pesas y medidas,
colores
y
sabores
y
en el vano intento de ir tras el sol
tras el vuelo de los pájaros,
de repente quiero acabar
con mi baño de todas las mañanas,
con el café pasado,
con mi agenda cuidadosamente estructurada
de citas y visitas
a las que asisto puntualmente;
pero es tarde
hace frío
y estoy sola.



la solitude accablante de mes jours
s’intensifie dans mes oreilles
jusqu’à les faire éclater,
plus personne ne respecte mes décisions ;
je suis la fille extravagante et folle
qu’il faut sauver
alors chacun de mes mots devient
un cri déchirant
sans écho ni réponse



la soledad abrumadora de mis días
se acrecienta en mis oídos
hasta hacerlos estallar,
ya nadie respeta mis decisiones;
soy la hija extravagante y loca
que hay que rescatar
entonces
cada palabra mía se convierte
en un grito desgarrador
sin eco y sin respuesta


j’aurais dû suivre tes conseils
ne pas lire Kafka
ni fréquenter ces cafés
que toi par contre tu fréquentes ;
mais il est tard
il fait froid
et je suis seule.



debí seguir tus consejos,
no leer más a Kafka
ni frecuentar esos cafés
que tú sí frecuentas;
pero es tarde
hace frío
y estoy sola.



María Emilia Cornejo s'est suicidée à Lima en 1972, elle avait 23 ans.