.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 24 septembre 2012

María Mercedes Carranza (1945-2003, Colombie)




À L’ENVERS AVEC LA VIE

Je sais que je vais mourir parce que je n’aime plus rien.
Manuel Machado

Je mourrai mortelle,
c’est-à-dire en ayant passée
par ce monde
sans l’abîmer ni le tacher.
Je n’ai inventé aucun vice,
mais j’ai joui de toutes les vertus:
j’ai loué mon âme
à l’hypocrisie : j’ai trafiqué
avec les mots,
avec les gestes, avec le silence ;
j’ai cédé au mensonge :
j’ai espéré l’espoir,
j’ai aimé l’amour,
et un jour même j’ai prononcé
le mot Patrie ;
j’ai accepté le leurre :
j’ai été mère, citoyenne,
fille aînée, amie,
compagne, amante.
J’ai cru en la vérité :
deux et deux font quatre,
María Mercedes doit naître,
grandir, se reproduire, et mourir
et j’en suis là.
Je suis un modèle du XXe siècle
Et quand la peur débarque
je vais regarder la télévision
pour dialoguer avec mes mensonges.


PATAS ARRIBA CON LA VIDA

Sé que voy a morir porque no amo ya nada.

Manuel Machado

Moriré mortal,
es decir habiendo pasado
por este mundo
sin romperlo ni mancharlo.
No inventé ningún vicio,
pero gocé de todas las virtudes:
arrendé mi alma
a la hipocresía: he traficado
con las palabras,
con los gestos, con el silencio;
cedí a la mentira:
he esperado la esperanza,
he amado el amor,
y hasta algún día pronuncié
la palabra Patria;
acepté el engaño:
he sido madre, ciudadana,
hija de familia, amiga,
compañera, amante.
Creí en la verdad:
dos y dos son cuatro,
María Mercedes debe nacer,
crecer, reproducirse y morir
y en esas estoy.
Soy un dechado del siglo XX.
Y cuando el miedo llega
me voy a ver televisión
para dialogar con mis mentiras.




María Mercedes Carranza s'est suicidée le 11 juillet 2003 à Bogotá.