.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


jeudi 23 août 2012

Roberto Bolaño (1953-2003, Chili)









LUPE

Elle travaillait dans la Guerrero, à quelques rues de la maison de Julian,
elle avait 17 ans et avait perdu un enfant.
S’en souvenir la faisait pleurer dans cette chambre de l’hôtel Trébol,
spacieuse et sombre, avec toilettes et bidet, l’endroit idéal
pour vivre quelques années. L’endroit idéal pour écrire
un livre de mémoires apocryphes ou un recueil
de poèmes d’horreur. Lupe
était maigre et avait les jambes longues et tachées
comme les léopards.
La première fois je n’ai même pas eu d’érection :
je n’espérais même pas avoir une érection. Lupe a parlé de sa vie
et de ce qu'était pour elle le bonheur.
Au bout d’une semaine on s’est revu. Je l’ai trouvée
au coin d’une rue avec d’autres petites putes adolescentes,
appuyée sur les garde-boue d’une vielle Cadillac.
Je crois que nous étions contents de nous voir. À partir de là
Lupe a commencé à me raconter des choses de sa vie, parfois en pleurant
parfois en baisant, presque toujours nus au lit,
en regardant le plafond, nous tenant la main.
Son enfant était né malade et Lupe avait promis à la Vierge
qu’elle abandonnerait le métier si son bébé guérissait.
Elle avait tenu la promesse un ou deux mois puis elle avait dû y retourner.
Peu après son enfant était mort et Lupe disait que c’était
sa faute, parce qu’elle n’avait tenu parole à la Vierge.
La Vierge avait emporté le petit ange pour une promesse non tenue.

Moi je ne savais pas quoi lui dire.
J’aimais les enfants, bien sûr,
mais il me manquait encore beaucoup d’années pour savoir
ce que c’était d’avoir un enfant.
Donc je me taisais et pensais à ce qu’avait d’étrange
le silence de cet hôtel.
Ou il avait les murs très épais ou nous étions les seuls occupants
ou les autres n’ouvraient pas la bouche, ni même pour gémir.
C’était tellement facile de mener Lupe et de te sentir un homme
et te sentir malheureux. C’était tellement facile de la mettre
à ton rythme et facile de l’écouter parler
des derniers films d’horreur qu’elle avait vus
au ciné Bucareli.
Ses jambes de léopard se nouaient à ma taille
et elle enfonçait sa tête sur ma poitrine cherchant mes mamelons
ou le battement de mon cœur.
C’est ce que je veux te sucer, m’a-t-elle dit une nuit.
Quoi Lupe ? Le cœur.


LUPE


Trabajaba en la Guerrero, a pocas calles de la casa de Julián
y tenía 17 años y había perdido un hijo.
El recuerdo la hacía llorar en aquel cuarto del hotel Trébol,
espacioso y oscuro, con baño y bidet, el sitio ideal
para vivir durante algunos años. El sitio ideal para escribir
un libro de memorias apócrifas o un ramillete
de poemas de terror. Lupe
era delgada y tenía las piernas largas y manchadas
como los leopardos.
La primera vez ni siquiera tuve una erección:
tampoco esperaba tener una erección. Lupe habló de su vida
y de lo que para ella era la felicidad.
Al cabo de una semana nos volvimos a ver. La encontré
en una esquina junto a otras putitas adolescentes,
apoyada en los guardabarros de un viejo Cadillac.
Creo que nos alegramos de vemos. A partir de entonces
Lupe empezó a contarme cosas de su vida, a veces llorando,
a veces cogiendo, casi siempre desnudos en la cama,
mirando el cielorraso tomados de la mano.
Su hijo nació enfermo y Lupe prometió a la Virgen
que dejaría el oficio si su bebé se curaba.
Mantuvo la promesa un mes o dos y luego tuvo que volver.
Poco después su hijo murió y Lupe decía que la culpa
era suya por no cumplir con la Virgen.
La Virgen se llevó al angelito por una promesa no sostenida.

Yo no sabía qué decirle.
Me gustaban los niños, seguro,
pero aún faltaban muchos años para que supiera
lo que era tener un hijo.
Así que me quedaba callado y pensaba en lo extraño
que resultaba el silencio de aquel hotel.
O tenía las paredes muy gruesas o éramos los únicos ocupantes
o los demás no abrían la boca ni para gemir.
Era tan fácil manejar a Lupe y sentirte hombre
y sentirte desgraciado. Era fácil acompasarla
a tu ritmo y era fácil escucharla referir
las últimas películas de terror que había visto
en el cine Bucareli.
Sus piernas de leopardo se anudaban en mi cintura
y hundía su cabeza en mi pecho buscando mis pezones
o el latido de mi corazón.
Eso es lo que quiero chuparte, me dijo una noche.
¿Qué, Lupe? El corazón.