.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 20 août 2012

Raúl Gómez Jattin (1945-1997, Colombie)





El dios que adora
                  

Soy un dios en mi pueblo y mi valle
No porque me adoren  Sino porque yo lo hago
Porque me inclino ante quien me regala
unas granadillas o una sonrisa de su heredad
O porque voy donde sus habitantes recios
a mendigar una moneda o una camisa y me la dan
Porque vigilo el cielo con ojos de gavilán
y lo nombro en mis versos  Porque soy solo
Porque dormí siete meses en una mecedora
y cinco en las aceras de una ciudad
Porque a la riqueza miro de perfil
mas no con odio  Porque amo a quien me ama
Porque sé cultivar naranjos y vegetales
aún en la canícula  Porque tengo un compadre
a quien le bautice todos los hijos y el matrimonio
Porque no soy bueno de una manera conocida
Porque amo los pájaros y la lluvia y su intemperie
que me lava el alma  Porque nací en mayo
Porque mi madre me abandonó cuando precisamente
más la necesitaba  Porque cuando estoy enfermo
voy al hospital de caridad  Porque sobre todo
respeto sólo al que lo hace conmigo  Al que trabaja
cada día un pan amargo y solitario y disputado
como estos versos míos que le robo a la muerte


Le dieu qui adore


Je suis un dieu dans mon village et ma vallée
Pas parce qu’ils m’adorent  Mais parce que moi je le fais
Parce que je m’incline devant qui m’offre
quelques grenadilles ou un sourire de son domaine
Ou parce je vais chez ses habitants rudes
mendier une pièce ou une chemise et qu’ils me la donnent
Parce que je veille le ciel avec des yeux d’épervier
et le nomme dans mes vers  Parce que je suis seul
Parce que j’ai dormi sept mois sur un fauteuil à bascule
et cinq sur les trottoirs d’une ville
Parce que je regarde la richesse de côté
mais sans haine  Parce que j’aime qui m’aime
Parce que je sais encore cultiver des légumes et des orangers
sous la canicule  Parce que j’ai un copain
à qui je baptise tous les enfants et le mariage
Parce que je ne suis pas bon d’une façon connue
Parce que j’aime les oiseaux et la pluie et son intempérie
qui me nettoie l’âme  Parce que je suis né en mai
Parce que ma mère m’a abandonné au moment précis
où j’avais le plus besoin d’elle  Parce que si je tombe malade
je vais à l’hôpital de charité  Parce que surtout
je respecte uniquement celui qui le fait avec moi  Celui qui travaille
chaque jour un pain amer et solitaire et disputé
comme ce poème que j’ai volé à la mort


De lo que soy


En este cuerpo
en el cual la vida ya anochece
vivo yo
Vientre blando y cabeza calva
Pocos dientes
Y yo adentro
como un condenado
Estoy adentro y estoy enamorado
y estoy viejo
Descifro mi dolor con la poesía
y el resultado es especialmente doloroso
voces que anuncian: ahí vienen tus angustias
Voces quebradas pasaron ya tus días

La poesía es la única compañera
acostúmbrate a sus cuchillos
que es la única


Sur ce que je suis


Dans ce corps
où la vie déjà s’est obscurcie
je vis moi
Ventre mou et tête chauve
Pas beaucoup de dents
Et moi à l’intérieur
comme un condamné
Je suis dedans et je suis amoureux
et je suis vieux
Je déchiffre ma douleur avec la poésie
et le résultat est particulièrement douloureux
des voix qui proclament : voilà tes angoisses
Des voix fêlées tes jours sont passés déjà

La poésie est la seule compagne
habitue-toi à ses couteaux
c’est la seule



“… Donde duerme el doble sexo”


La gallina es el animal que lo tiene más caliente
Será porque el gallo no le mete nada   Será
porque es muy sexual y tan ambiciosa que le cabe un huevo
Será porque a ella también le gusta que uno se lo meta
Lo malo es que caga el palo
Pero es en el momento más bacano y el orgasmo es de fiebre
¡Loco! Supersexo a mis seis años


A la paloma no le cabe   Pero es lindo excitarla
y hacerse amigo de ella y hacer de ella  La paloma
o sea del palomo el signo sagrado del Amor
Aquel a quien nombro cuando no me duele en demasía
Virgo como un palomo pero penetrable


La pata es imposible    La perra no deja y muerde
La cerda sale corriendo  La gata ni pensarlo
Chévere la carnera   Se queda quieta
La chiva en celo es deliciosa

Se me olvidaba la pava   En la alegría sexual
sale la calle como la perra a putear
De las aves lo más bacano es el pavo
Todos los pavos son maricas   Lo aprietan

Claro que la burra es lo máximo del sexo femenino
pero la mula lo chupa y la yegua es de lo mejor
Pero…

La cocinera hace todo   Se levanta la falda
y lo trepa a uno a su pubis   Te mete las manos
en las nalgas y te culea en esa ciénaga insondable
de su torpe lujuria de ancha boca
El que se ha comido un burro joven sabe
que
per angostam viam hay más contacto y placer
de entrar con ternura por donde la naturaleza
aparentemente no lo espera   Pero que recibe
en un júbilo que no le conozco a la hembra

Todo ese sexo limpio y puro como el amor
entre el mundo y sí mismo   Ese culear con
todo lo hermosamente penetrable   Ese metérselo
hasta a una mata de plátano   Lo hace a uno
Gran culeador del universo todo culeado
Recordando a Walt Whitman

Hasta que termina uno por dárselo a otro varón
Por amor   Uno que lo tiene más chiquito que el palomo


« … Où dort le double sexe »


La poule est l’animal qui l’a le plus chaud
Peut-être parce que le coq ne lui met rien  Peut-être
parce qu’elle est très sexuelle et si ambitieuse qu’elle en porte un œuf
Ou parce qu’elle aussi elle aime qu’on la mette
L’ennui c’est qu’elle chie sur le bâton
Mais c’est au moment le plus top et l’orgasme est de fièvre
Délirant ! Supersexe pour mes six ans

La pigeonne ça ne rentre pas  Mais c’est mignon de l’exciter
Et devenir son ami et faire d’elle La pigeonne
c’est-à-dire du pigeon le signe sacré de l’Amour
Celui que je nomme quand ça ne me fait pas mal à l’excès
Vierge comme un pigeon mais pénétrable

La canne est impossible  La chienne se rebiffe et mord
La truie déguerpie en courant  La chatte autant ne pas y penser
Sympa la brebis  Elle reste tranquille
La chèvre en rut est un délice

J’oubliais la dinde  En pleine joie sexuelle
elle sort dans la rue faire la pute comme une chienne
Parmi les volailles le plus formidable c’est le dindon
Tous les dindons sont pédés  Ils te le serrent

Bien sûr l’ânesse c’est le maximum du sexe féminin
Mais la mule te l’aspire et la jument est parmi ce qu’il y a de meilleur
Mais…

La cuisinière s’occupe de tout  Elle se lève la jupe
et te le grimpe sur son pubis  Elle te met les mains
sur les fesses et te baise dans ce marécage insondable
de sa luxure maladroite de bouche large

Celui qui s’est fait un jeune âne sait
que per angostam viam il y a davantage de contact et plaisir
à entrer avec tendresse par où la nature
apparemment ne l’attend pas  Mais il le reçoit
dans une jubilation que je ne connais pas à la femelle

Tout ce sexe propre et pur comme l’amour
entre le monde et soi-même  Cette baise avec
tout le merveilleusement pénétrable  Cette façon
de la foutre jusque dans un bananier  Nous rend
Grand baiseur de l’univers tout baisé
En se souvenant de Walt Whitman

Jusqu’à ce qu’on finisse par l’offrir à un autre garçon
Par amour  Un qui l’a plus petite qu’un pigeon



Casi obsceno


Si quisieras oír lo que me digo en la almohada
el rubor de tu rostro sería la recompensa
Son palabras tan íntimas como mi propia carne
que padece el dolor de tu implacable recuerdo

Te cuento   ¿Sí?   ¿No te vengarás un día?   Me digo:
Besaría esa boca lentamente hasta volverla roja
Y en tu sexo el milagro de una mano que baja
en el momento más inesperado y como por azar
lo toca con ese fervor que inspira lo sagrado

No soy malvado   Trato de enamorarte
intento ser sincero con lo enfermo que estoy
y entrar en el maleficio de tu cuerpo
como un río que teme al mar pero siempre muere en él


Presque obscène


Si tu veux entendre ce que je me dis sur l’oreiller
la rougeur de ton visage en serait la récompense
Ce sont des mots aussi intimes que ma chair
qui souffre la douleur de ton implacable souvenir

Je te raconte   Si ?   Tu ne t’en vengeras pas un jour ?  Je me dis :
Je baiserais ta bouche lentement jusqu’à la rendre rouge
Et sur ton sexe le miracle d’une main que je baisse
au moment le plus inattendu et comme par hasard
elle le touche avec cette ferveur que le sacré inspire

Je ne suis pas mauvais   J’essaie de te rendre amoureux
malade comme je suis je tente d’être sincère
et d’entrer dans le maléfice de ton corps
comme un fleuve craint la mer mais toujours meurt en elle



Pequeña elegía


Ya para qué seguir siendo árbol
si el verano de dos años
me arrancó las hojas y las flores
Ya para qué seguir siendo árbol
si el viento no canta en mi follaje
si mis pájaros migraron a otros lugares
Ya para qué seguir siendo árbol
sin habitantes
a no ser esos ahorcados que penden
de mis ramas
como frutas podridas en otoño


Petite élégie


Pourquoi être encore un arbre
si l’été de deux ans
m’a arraché les feuilles et les fleurs
Pourquoi être encore un arbre
si le vent ne chante plus dans mon feuillage
si mes oiseaux ont migré ailleurs
Pourquoi être encore un arbre
sans habitants
sinon ces pendus accrochés
à mes branches
comme des fruits pourris en automne