.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 20 août 2012

José Asunción Silva (1865-1896, Colombie)







LE MAL DU SIÈCLE

Le patient :
Docteur, un écœurement de la vie
Qui au fond de moi s’enracine et grandit,
Le mal du siècle… le même mal que celui de Werther,
De Rolla, de Manfred, de Leopardi.
Une lassitude de tout, un absolu
Mépris de l’humain… un continuel
Dégoût pour la bassesse de l’existence
Digne de mon maître Schopenhauer ;
Un mal-être qui s’approfondit
Avec toutes les tortures de l’introspection.

Le médecin :
C’est une question de régime : marchez
Tôt le matin, dormez comme il faut, prenez un bain,
Buvez bien, mangez bien, prenez bien soin de vous,
Ce que vous avez, c’est seulement faim !…



LES MALADIES DE L’ENFANCE

A une bouche perdue,
à une bouche infâme,
quand il sentit l’élan qui dans la vie
nous pousse à d’extrêmes folies,
il donna son premier baiser, affamé de tendresse
sur des lèvres sans vigueur, sans fraîcheur.

Non, ce ne fut pas comme Roméo
embrassant Juliette ;
le corps qu’il serra lorsque le désir
brûlant aiguillonnait sa chair inquiète
fut le corps vil d’un vieille courtisane,
Jeanne l’infatigable du troupeau humain.
Et l’extase divine
dont il rêvait avec délice
le laissa mélancolique et déçu
en achevant sa caresse lubrique.
De l’amour il ne sentit pas la magie intense
mais rapporta… une bonne blennorragie.



José Asunción Silva sest suicidé à Bogotá le 23 mai 1896 à lâge de 30 ans.