.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 20 août 2012

Olvido García Valdés (1950 - Espagne)




Si comme la nature fait l’homme
de semence chaude et humide, le faisait
de semence froide et sèche,
apparaîtrait bientôt qu’en naissant
il saurait discourir et ne saurait pas
téter. Le temps projette
les mots sur un fond
vide, ainsi Vélasquez
place ses bouffons : âme imaginative
esprit libre, température
qui mue dans le cerveau : lettre
qui avec du sang pénètre minutieuse.


Si como naturaleza hace al hombre
de simiente caliente y húmeda, lo hiciera
de simiente fría y seca,
pronto se vería que en naciendo
supiera luego discurrir y no supiera
mamar. El tiempo proyecta
las palabras contra un fondo
vacío, así Velázquez
coloca sus bufones: alma imaginativa
mente exenta, temperatura
que muda en el cerebro: letra
que con sangre entra detenida.




la voix, celle de cette petite fille
qui chante ici toute seule
celle du garçon
qui la nuit pousse des cris et répète
obsessif fils de pute, les voix
des enfants qui jouent ;
voix intransitive, libre
dans le monde, corps automates
que chaque jour je vois et ne vois pas, glapissements
véloces de martinets
à la tombée de la nuit


la voz, la de esta niña
que canta sola ahí,
la del muchacho
que por la noche da gritos y repite
obsesivo hijo de puta, las voces
de los niños que juegan ;
intransitiva voz, exenta
en el mundo, cuerpos autómatas
que a diario veo y que no veo, chillidos
veloces de vencejos
en el anochecer




on le place sur la nuque un point
d’où tombe la douleur et se loge
sous l’omoplate en ouvrant
la porte on les écoutait et ouvrait et tout
l’obscur allait glissant


lo sitúa en la nuca un punto
del que cae el dolor y se aloja
bajo el omóplato al abrir
la puerta los oía y abría y todo
lo oscuro iba resbalando



mon goût pour l’obscur
vient de toi
tout disparaît le lieu la personne
sauf cette préférence
sombre et naturelle


mi gusto por lo oscuro
viene de ti
todo desaparece el lugar la persona
salvo esa preferencia
sombría y natural




la maladie mentale, errata,
la maladie mortelle, avance
regardant le sol, sauver
quelqu’un, le contraire
sections de cerveau, coupures
abîme de trachée
et larynx, vers le dehors
le monde est plat
les mots ont du relief, globes
oculaires, la petite fille
des yeux, cœur, tout
finit par tomber du côté qui s’incline

(Unica Zürn)


la enfermedad mental, errata,
la enfermedad mortal, camina
mirando al suelo, salvar
a alguien, lo contrario
secciones de cerebro, cortes
abismo de tráquea
y laringe, hacia afuera
el mundo es plano
las palabras tienen relieve, globos
oculares, la niña
de los ojos, corazón, todo
acaba cayendo del lado que se inclina

(Unica Zürn)




C’est bizarre qu’on soit si nombreux dans le monde,
si nombreux dans cette ville
et qu’il n’y ait personne,
presque personne à qui ne pas mentir.
Hier j’ai lu des fragments
de prose autobiographique,
quelqu’un se décrivait sauvage
ou masochiste dans un désert
africain et parlait avec un œil
tourné vers sa sauvagerie – ainsi disait-il –
et l’autre vers l’Europe ;
curieusement
on ne pouvait pas le prendre au sérieux.
Bien différemment, j’ai pensé,
parlerait une femme, certaines femmes dont les noms
me sont venus à l’esprit,
ou encore cette autre
façon de ne pas raconter les choses et de les raconter
qu’ont certains hommes
s’ils ne sont pas à l’excès affirmatifs
ou marchands ; ne pas mentir,
ne pas se regarder le nombril, ne pas être
déliquescent, ne pas en arriver
au décalogue.


Es raro que seamos tantos en el mundo,
tantos en esta ciudad
y que no haya nadie,
casi nadie a quien no mentir.
Ayer leía fragmentos
de prosa autobiográfica,
alguien se describía salvaje
o masoquista en un desierto
africano y hablaba con un ojo
puesto en su salvajez – así decía –
y otro puesto en Europa ;
resultaba curioso
que no hubiera manera de tomárselo en serio.
Qué distinto hablaría, pensé,
una mujer, ciertas mujeres cuyos nombres
me vinieron a la cabeza,
o qué bien ese otro
modo de no contar las cosas y contarlas
que algunos hombres tienen
si no son en exceso afirmativos
o mercaderes ; no mentir,
no mirarse el ombligo, no ser
delicuescente, no llegar
al decálogo.
 

 
De Chasse nocturne/Caza nocturna  Editions L’Oreille du Loup, 2009