.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 20 août 2012

José Gutiérrez (1955 - Espagne)






DÉSOLATION ET FUGUE

Elle est habillée des couleurs de la nuit,
magnifique et hautaine comme le petit matin.
Quand viendra l’aube
elle prendra le premier taxi
me laissant son odeur entre les mains
comme une poignée de cendres.


DESOLACIÓN Y FUGA

Vestida va del color de la noche,
bellísima y altiva como la madrugada.
Al apuntar el alba
subirá al primer taxi
dejándome su aroma entre las manos
como un puñado de ceniza.





LA VIE VIEILLE

Quand les années passeront
et les jours s’obscurciront irrémédiablement
pour qui n’attend rien de la vie,
je choisirai peut-être
ce plaisir étrange de vivre dans des hôtels
de villes fastueuses
que je n’ai pas eu l’occasion de connaître
quand, jeune encore, le corps cherchait
des plaisirs plus intenses, la palpitation proche
de tant de beauté perdue
et de celle que j’ai pu retenir,
me laissant aveugle pour toujours
avec sa lumière trop éphémère.

Le plaisir de vivre dans des hôtels
comblerait peut-être cette vie déserte ;
nomade, seul et silencieux,
d’une ville à l’autre
essayant d’oublier ce que je n’ai pas eu
tandis que la jeunesse continue à passer
devant celui que le temps a vaincu.


LA VIDA VIEJA

Cuando pasen los años
y los días se tornen oscuros sin remedio
para quien nada espera de la vida,
yo elegiré quizás
ese extraño placer de vivir en hoteles
de ciudades fastuosas
que no tuve ocasión de conocer
cuando, joven aún, buscaba el cuerpo
placeres más intensos, el latido cercano
de tanta belleza perdida
y de aquella que pude retener,
dejándome cegado para siempre
con su luz tan efímera.

El placer de vivir en los hoteles
colmaría quizás esa vida desierta;
nómada, solitario y silencioso
de una ciudad a otra
intentando olvidar lo que no tuve,
mientras la juventud sigue pasando
frente a quien fue vencido por el tiempo.





FIN DE PARCOURS

Le lent passage d’un train nocturne
comme image possible de ma vie.
Au loin mouraient les gares
où je ne suis pas descendu :
peur de l’obscurité
ou à l’idée que personne ne m’attende.

Et cependant elle était là,
à la fin du parcours,
beauté impatiente,
dans ses yeux sombres
inscrite la sentence :
l’oubli m’est intolérable

et le retour interdit.


FIN DE TRAYECTO

El lento discurrir de un tren nocturno
como posible imagen de mi vida.
A lo lejos morían estaciones
donde no me detuve:
miedo a la oscuridad
o a la idea de que nadie me esperara.

Y sin embargo estaba allí,
al final del trayecto,
impaciente belleza,
en sus ojos sombríos
escrita la sentencia:
no sufriré el olvido
y la vuelta me está vedada.





DU RENONCEMENT

Si avec le temps meurt cette chimère
de chercher une lumière qui n’est jamais nôtre,
si les rêves deviennent ombre noire
sous un ciel fermé d’orage,
si le lieu de l’amour est la menace
et sa nudité l’éclat d’une pièce de monnaie,
si le plaisir ne suffit plus, si l’habitude
est ce miroir brisé, que la vie alors
sans beauté se soumette et que la mémoire
vaine du silence soit ton héritage
inscrit dans la fin qui nous condamne.


DE LA RENUNCIA

Si con el tiempo muere la quimera
de buscar una luz que nunca es nuestra,
si los sueños se tornan negra sombra
bajo un cielo cerrado de tormenta,
si el lugar del amor es la amenaza
y su desnudo un brillo de monedas,
si el placer ya no basta y la costumbre
es ese espejo roto, sin belleza
dobléguese la vida y que la vana
memoria del silencio sea tu herencia
escrita en el final que nos condena.

De Du renoncement/De la renuncia  Editions L'Oreille du Loup, 2010