.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mardi 21 août 2012

Leopoldo María Panero (1948 - Espagne)



[…]


Qui sait ce qu’a voulu faire Chatterton
avec son suicide : quelle promesse
à une femme ou quelle blessure au vent.
Il n’a pas brisé la réalité, il n’a pas enfoncé le couteau
dans la chair cruelle de ce qui vit.
Aujourd’hui sans lui, sans son suicide, puisque pire est la vie
qui mouille les cadavres avec des larmes de fange.
Qui sait ce qu’a voulu Chatterton avec son suicide,
dire quel mot, quel cri à personne
quel signe qui ne serait pas déblayé par le balai
anonyme du temps.
Qui sait ce qu’il nous a dit, quel espoir il avait,
et si malgré tout nous pouvons encore
grâce à lui, dans les jours pluvieux
quand la solitude menace et guettent
dans l’ombre les souvenirs,
avoir confiance dans le mystère de la mort.

[…]


Quién sabe lo que quiso Chatterton
hacer con su suicidio: qué promesa
a una mujer o qué herida en el viento.
No quebró la realidad, no hundió el cuchillo
en la carne cruel de lo que vive.
Hoy sin él, sin su suicidio, porque es peor la vida
que moja los cadáveres con lágrimas de cieno.
Quién sabe lo que quiso Chatterton con su suicidio,
qué palabra decir, qué grito a nadie
qué signo que no fuera barrido por la escoba
anónima del tiempo.
Quién sabe qué nos dijo, qué esperanza tenía,
y si a pesar de todo aún podemos
gracias a él, en los días de lluvia
cuando amenaza la soledad, y acechan
en la sombra los recuerdos,
confiar en el misterio de la muerte.



LE FOU QUI REGARDE DEPUIS LA PORTE DU JARDIN

Homme normal qui pour un moment
croises ta vie avec celle de l’épouvantail
tu dois savoir que ce ne fut pas pour avoir tué le pélican
mais pour rien pour être couché ici parmi d’autres tombes
et qu’à rien sinon au hasard et à aucune volonté sacrée
de démon ou de dieu je ne dois ma ruine.


EL LOCO MIRANDO DESDE LA PUERTA DEL JARDÍN

Hombre normal que por un momento
cruzas tu vida con la del esperpento
has de saber que no fue por matar al pelícano
sino por nada por lo que yazgo aquí entre otros sepulcros
y que a nada sino al azar y a ninguna volutad sagrada
de demonio o de dios debo mi ruina.



TANGER

(Café Bar Tingis, Zocco Chicco)

Mourir dans des chiottes à Tanger
avec mon corps embrassant le sol
fin du poème et vérité de mon existence
où les aigles pénètrent à travers les fenêtres du soleil
et les anges enflamment leurs épées sur la porte des toilettes
où la merde a parlé de Dieu
se défaisant
peu à peu entre les mains
dans l’acte de la lecture
et un pigeon
sur des corps nus d’arabes
marchant, barbares, sur la pluie
et sur la tombe du poème introduisant leurs épées
et la mort.

Et un enfant en guenilles a léché mes mains
et mon cou, et m’a dit « Meurs,
c’est une belle ville pour mourir »
tu verras comment les oiseaux se traînent et crachent de
   l’eau par les narines
quand tu meurs
et comment Filis me prend dans ses bras et la ville se rend
devant le siège des condamnés
je préfère vivre au siège du néant
avec une marque de merde au front.


TÁNGER

(Café Bar Tingis, Zocco Chicco)

Morir en un wáter de Tánger
con mi cuerpo besando el suelo
fin del poema y verdad de mi existencia
donde las águilas entran a través de las ventanas del sol
y los ángeles hacen llamear sus espadas en la puerta del retrete
donde la mierda habló de Dios
deshaciéndose
poco a poco entre las manos
en el acto de la lectura
y una paloma
sobre cuerpos nudos del árabes
caminando, bárbaros, sobre la lluvia
y sobre la tumba del poema implantando sus espadas
y la muerte.

Y un niño harapiento lamió mis manos
y mi cuello, y me dijo “Muere,
es hermosa ciudad para morir”
verás cómo los pájaros se arrastran y escupen agua por las narices
cuando mueras
y cómo Filis me abraza y la ciudad se rinde
ante el asedio de los condenados
prefiero vivir al asedio de nadie
con una marca de mierda en la frente.




De Territoire de la peur/Territorio del miedo  Editions L’Oreille du Loup, 2011