.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mardi 21 août 2012

Leopoldo María Panero (1948 - Espagne)



DÉSIR D’ÊTRE PEAU ROUGE

La plaine infinie et le ciel son reflet.
Désir d’être peau rouge.
Aux villes sans air arrive parfois sans bruit
le hennissement d’un onagre ou le trot d’un bison.
Désir d’être peau rouge.
Sitting Bull est mort : aucun tambour
n’annonce son arrivée dans les Grandes Prairies.
Désir
d’être peau rouge.
Le cheval de fer traverse maintenant sans peur
des déserts brûlants de silence.
Désir d’être peau rouge.
Sitting Bull est mort et aucun tambour
afin de le faire revenir du royaume des ombres.
Désir d’être peau rouge.
Un dernier cavalier a traversé la plaine
infinie, laissant derrière lui une vaine
traînée de poussière, que le vent dissipe.
Désir d’être peau rouge.
Dans la Réserve ne niche pas
un serpent à sonnette, mais l’abandon.
DÉSIR D’ÊTRE PEAU ROUGE.
(Sitting Bull est mort, les tambours
le crient sans attendre de réponse.)


DESEO DE SER PIEL ROJA

La llanura infinita y el cielo su reflejo.
Deseo de ser piel roja.
A las ciudades sin aire llega a veces sin ruido
el relincho de un onagro o el trotar de un bisonte.
Deseo de ser piel roja.
Sitting Bull ha muerto: no hay tambores
que anuncien su llegada a las Grandes Praderas.
Deseo
de ser piel roja.
El caballo de hierro cruza ahora sin miedo
desiertos abrasados de silencio.
Deseo de ser piel roja.
Sitting Bull ha muerto y no hay tambores
para hacerlo volver desde el reino de las sombras.
Deseo de ser piel roja.
Cruzó un último jinete la infinita
llanura, dejó tras de sí vana
polvareda, que luego se deshizo en el viento.
Deseo de ser piel roja.
En la Reservación no anida
serpiente cascabel, sino abandono.
DESEO DE SER PIEL ROJA;
(Sitting Bull ha muerto, los tambores
lo gritan sin esperar respuesta.)



LA CHANSON D’AMOUR DU TRAFIQUANT DE MARIHUANA

Et pourquoi mourir si dans les quartiers où
le carmin a remplacé le sang
on nous donne pour 125 pesetas quelque chose qui selon
   leur dire est un succédané du miel
même si parfois on y trouve noyés des cils
qu’il faut séparer avec soin avant de s’en servir
une patte d’oiseau pour vingt balles ! OCCASION le trou
dont nous avons tant besoin pour y mettre notre énorme tête
et en l’espace de deux heures ne plus rien entendre que le
   bruit qu’elle produit elle-même
(quelque chose comme un fleuve de fange)
qu’est-ce que vous attendez, qu’est-ce que vous attendez pour déterrer
les morceaux de verres colorés que le sable a bus
ou les caramels qui en passant par vos intestins deviennent
   cette chose d’agréable en rien au toucher, au goût ni à l’odeur
ou les chiens avec lesquels on jouait au coin tandis que les
   voitures en passant nous couvraient de boue
enfin tout, les flèches et les kermesses
et tout ça pour un si petit prix, messieurs, pour un si petit prix
un vieil Arlequin dansera dans vos pupilles
un serpent avec des béquilles y viendra nicher
un vent, peut-être, je le reconnais un peu fatigué et avec l’envie
   de retourner à la maison
essaiera de vous nettoyer les cendriers
et tout ça pour un si petit prix, messieurs, pour un si petit prix.


LA CANCIÓN DE AMOR DEL TRAFICANTE DE MARIHUANA

Y para qué morir si en los barrios adonde
el carmín sustituye a la sangre
nos dan por 125 ptas. algo que según dicen es un sucedáneo de la miel
aunque a veces contiene pestañas ahogadas en ella
que hay que separar cuidadosamente antes de usarla
¡una pata de pájaro por veinte duros! OCASIÓN el hueco
que tanto necesitábamos para meter en él nuestra enorme cabeza
y en el espacio de dos horas no oír más que el ruido que ella
   misma produce
(algo así como un río de lodo)
qué es lo que esperan, qué es lo que esperan para desenterrar
los pedazos de vidrio de colores que la arena se ha tragado
o los caramelos que al pasar por sus intestinos se convierten
   en algo nada grato al tacto, al gusto y al olfato
o los perros con que jugábamos en la esquina mientras los
   autos al pasar nos llenaban de barro
todo en fin, las flechas y verbenas
y todo por tan poco precio, señores, por tan poco precio
un viejo Arlequín bailará en sus pupilas
una serpiente con muletas anidará en ellas
un viento, quizás, lo reconozco un poco cansado y con ganas
   de irse a su casa
tratará de limpiarle a Vd. los ceniceros
y todo por tan poco precio, señores, por tan poco precio.



TERRITOIRE DE LA PEUR

Elle est seule l’araignée dans la toile de la peur
elle est seule et elle lutte contre les étoiles de la peur
et elle chante, chante l’araignée des chansons à la peur
qui disent par exemple : la peur est une
femme qui marche pieds nus dans la neige
dans la neige de la peur, priant, réclamant à Dieu à genoux
qu’il n’y ait pas de sens, et que
marche la mort dans les rues
toute nue, offrant son sexe et ses mains pour
nous accompagner dans la Peur.


TERRITORIO DEL MIEDO

Está sola la araña en el telar del miedo
está sola y lucha contra las estrellas del miedo
y canta, canta la araña canciones al miedo
que dicen por ejemplo: el miedo es una
mujer que camina descalza en la nieve
en la nieve del miedo, rezando, pidiendo a Dios de rodillas
que no haya sentido, y que
camine la muerte por las calles
denuda, ofreciendo su sexo y mano para
acompañarnos en el Miedo.



LA PRIÈRE

Et la mère réprimanda l’enfant, et dit
que fais-tu à ne pas veiller le cadavre
et il mit sa bouche sur ce phallus, et
goba lentement comme d’une nourriture
parce que ce mort était l’encens
qui purifiait les
bien connues puanteurs du théâtre, sa
trouble agonie de telle sorte qu’au crépuscule la mère répétait
sortant d’un coup du sommeil Mon fils va et regarde
au fond pour savoir s’il dort ou s’il pense à nous
et n’oublie jamais de veiller le cadavre :
qu’il nous absolve, dis-lui, que nous avons beaucoup vécu
et nous trébuchons déjà contre les meubles, et l’âme est
pourrie, et elle sent
trop, beaucoup trop ; va et regarde s’il pense à nous
et l’enfant gobait à cet anus ouvert.


LA ORACIÓN

Y la madre reprendió al niño, y dijo
qué haces que no velas el cadáver
y él puso su boca en aquel falo, y
sorbió lentamente como de un alimento
porque el muerto ese era el incienso
que purificaba los
sabidos hedores del teatro, su
turbia agonía de modo que al crepúsculo la madre repetía
de golpe despertando del sueño Hijo mío ve y mira
al fondo para saber si duerme o si nos piensa
y no te olvides nunca de velar el cadáver:
que nos absuelva, dile, que hemos vivido mucho
y tropezamos ya con los muebles, y el alma está
podrida, y huele
demasiado, demasiado: ve y mira si nos piensa
y el hijo sorbía de aquel ano abierto.


De Territoire de la peur/Territorio del miedo  Editions L’Oreille du Loup, 2011