.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


jeudi 16 juillet 2020

Gloria Susana Esquivel (1985 – Colombie)








Yosakura


J’ai fait de ma langue un filet de poisson

sans écailles                                       sans branchie
elle gît timide sur un lit de glace qui la maintient ferme

                                   Un morceau de thon rouge sans palpitation

Je la sers dans un restaurant japonais de l’Est :

                                                                                   nous dînons là

Immobile
elle conserve les mots dans ses veines
maladroitement elle se livre à l’aphasie

Langue lourde
incapable d’articuler
sternum           épiglotte
plexus                         appétit
Dans son humidité fraîche elle se sait lâche

Les mots tombent comme des fils

dans
une
réverbération
phonétique
qui
m’
échappe

                                                           Avec une virtuosité de mante tu prends les baguettes
et tu examines le dos de la langue
                                                           le dernier bout de sashimi qu’il nous reste

Maintenant ma langue thon repose sur la tienne
et je ne réclame plus le silence

Un léger mugissement
peut-être un murmure
soudain :

La bouche devenue un bassin à poissons




Yosakura


He convertido mi lengua en un filete de pescado

sin escamas    sin branquias
yace tímida en una cama de hielo que la mantiene firme

Un trozo de atún rojo que no late

La sirvo en un restaurante japonés del Este:

   allí cenamos

Inmóvil
guarda palabras en sus vetas
Torpemente se entrega a la afasia

Lengua pesada
incapaz de articular
esternón
epiglotis
plexo
apetito
En su humedad fresca se sabe cobarde

Las palabras caen como hilos

en
un
reverberar
fonético
que
se
me
escapa

Con maestría de mantis tomas los palitos
y examinas el dorso de la lengua:
el último trozo de sashimi que nos queda

Ahora mi lengua atún descansa sobre la tuya,
y ya no relamo el silencio

Un bramido leve,
tal vez un murmullo,
de repente:

La boca convertida en un estanque de peces