.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mercredi 11 avril 2018

Marisa Martínez Pérsico (1978 - Argentina)




Francs-tireurs de Sarajevo

Pourquoi on n’irait pas
en vacances en Bosnie?
C’était ta question
toutes ces années-là.

Tu feuilletais la revue Bell’Europa
et tu trimballais dans la maison
un tableau
de l’ancien cimetière juif.

Sur la photo de la boutique
qui stipulait “Cvječara”
les fleurs poussaient sur la roche
à travers les impacts
de mortier.

Il y a des orchidées en vente,
pour les amants
et les morts, me disais-tu.

Pourquoi ne pas organiser
un voyage en Herzégovine,
cet été ? 

Tu étais triste à contretemps.

À cette époque
tu n’étais qu’un garçon
de famille opulente
qui franchissait les confins
des Balkans
pour s’étaler sur les plages
sans bombes de l’Egée.

Mais c’est facile d’être lyrique
avec la tragédie des autres. 

Se pavoiser parmi les symboles
avec des sujets empruntés
sans se servir des genoux
comme des pattes de chien
pour déjouer les maquis
du boulevard Selimovica.

Pourquoi on n’irait pas
à Mostar, 
même pour quelques jours ?

J’avais treize ans.
Le père de mon amie
se réveillait collé
à une radio européenne
pour prendre des nouvelles du siège,
de son frère à Markale,
de cette Miss Univers
couronnée
dans une cave.

Moi j’écoutais The Cult
dans l’autre pièce. 

La pureté n’est pas douloureuse
quand le mal ne nous touche pas.
Après Sarajevo
il est impossible de regarder un petit enfant
sans se bander les yeux.

Tu n’as plus insisté. 

Tu l’emèneras, tout à l’heure, par la main 
à l’ossuaire des tourterelles
du tableau.

Et tout est à sa place,
mon amour,
ne t’excuse pas. 

J’aurai d’autres montagnes.


Francotiradores de Sarajevo

¿Por qué no vamos
de vacaciones a Bosnia?
Ha sido tu pregunta
de estos años.

Hojeabas la revista Bell’Europa
y andabas por la casa
con un cuadro
del antiguo cementerio judío.

En la foto de la tienda
que reza “Cvjecara”
las flores germinan en la roca
a través de los impactos
de mortero.

Hay orquídeas en venta,
para los amantes
y los muertos, me decías.

¿Por qué no organizar
un viaje a Herzegovina,
este verano?

Estabas triste a destiempo.

Por entonces
eras solo un muchacho
de familia opulenta
que franqueaba el confín
de los Balcanes
por tumbarse en las playas
sin bombas del Egeo.

Pero es fácil ser lírico
con la tragedia ajena.

Pavonearse entre los símbolos
con temas prestados
sin usar las rodillas
como patas de perro
por burlar a los maquis
del Bulevar Selimovica.

¿Por qué no vamos
a Mostar,
aunque sea unos días?

Yo tenía trece años.
El padre de mi amiga
amanecía pegado
a una emisora europea
para oír del asedio,
de su hermano en Markale,
de esa Miss Universo
coronada
en un sótano.

Yo escuchaba The Cult
en la otra sala.

La pureza no duele
cuando el mal no nos toca.
Después de Sarajevo
no es posible mirar una criatura
sin vendarse los ojos.

No volviste a insistir.

La llevarás, ahora, de la mano
al osario de tórtolas
del cuadro.

Y todo está en su sitio,
amor,
no te disculpes.

Yo tendré otras montañas.