.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


samedi 22 novembre 2014

Gonzalo Rojas (1916 - 2011, Chili)






Le soleil est la seule semence

I

Je vis dans la réalité.
Je dors dans la réalité.
Je meurs dans la réalité.

Je suis la réalité.
Tu es la réalité.
Mais le soleil
est la seule semence.

II

Qu’es-tu ?
Que suis-je
sinon un corps prêté
qui fait de l’ombre ?

L’ombre est ce que le corps
laisse de sa mémoire.

J’ai eu un père et une mère :
foudre dans l’artère
une fois tous les jamais.

Mon visage n’est pas leur visage
mais, peut-être, l’ombre,
le mélange de ces visages.

III

Tu fais le bien ou le mal,
Tu es la cause d’un fait.
Mais : est-ce toi ta cause ?

Ils te donnent ce qu’ils te demandent.
Ils demandent ce qu’ils te donnent.
Bref : tu entres et tu sors.

Tu laisses ton ombre misérable
comme n’importe quel nom
écrit sur la muraille.

Tu te bats. Tu dors. Tu manges.
Tu engendres. Tu vieillis.
Tu passes au jour suivant.

IV

Les autres aussi meurent
comme toi, goutte à goutte,
jusqu’à ce que la mer se remplisse.

As-tu pensé à l’air
que cette mer évacue ?

Toi et moi sommes deux planches
que quelqu’un dans la forêt a coupées
d’un arbre millénaire.

Mais qui a planté cet arbre
pour que nous sortions de lui
et en lui nous nous enfermions ?

V

Je ne te connais pas,
mais tu es en moi
parce que tu me cherches.

Tu te cherches en moi.
J’écris pour toi.
C’est mon travail.

Je vis dans la réalité.
Je dors dans la réalité.
Je meurs dans la réalité.

Je suis la réalité.
Tu es la réalité.
Mais le soleil
est la seule semence.


El sol es la única semilla

I

Vivo en la realidad.
Duermo en la realidad.
Muero en la realidad.

Yo soy la realidad.
Tú eres la realidad.
Pero el sol
es la única semilla.

II

¿Qué eres tú? ¿Qué soy yo
sino un cuerpo prestado
que hace sombra?

La sombra es lo que el cuerpo
deja de su memoria.

Yo tuve padre y madre:
relámpago en la arteria
una vez cada nunca.

Mi rostro no es su rostro
sino, acaso, la sombra,
la mezcla de esos rostros.

III

Tú haces el bien o el mal,
Tú eres causa de un hecho.
Pero: ¿eres tú tu causa?

Te dan lo que te piden.
Piden lo que te dan.
Total: entras y sales.

Dejas tu pobre sombra
como un nombre cualquiera
escrito en la muralla.

Peleas. Duermes. Comes.
Engendras. Envejeces.
Pasas al otro día.

IV

Los demás también mueren
como tú, gota a gota,
hasta que el mar se llena.

¿Has pensado en el aire
que ese mar desaloja?

Tú y yo somos dos tablas
que alguien cortó en el bosque
a un árbol milenario.

Pero ¿quién plantó ese árbol
para que de él saliéramos
y en él nos encerráramos?

V

A ti no te conozco,
pero tú estás en mí
porque me vas buscando.

Tú te buscas en mí.
Yo escribo para ti.
Es mi trabajo.

Vivo en la realidad.
Duermo en la realidad.
Muero en la realidad.

Yo soy la realidad.
Tú eres la realidad.
Pero el sol
es la única semilla.