.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mercredi 2 janvier 2013

Miyó Vestrini (1938-1991, Venezuela)




Le premier suicide est unique.
On te demande toujours si c’était un accident
ou une volonté ferme de mourir.
On te passe un tube dans le nez,
en force,
pour que ça fasse mal
et que tu apprennes à ne pas perturber ton prochain.
Quand tu commences à expliquer que
la-mort-en-réalité-te-semblait-la-seule-issue
ou que tu le fais
pour-faire-chier-ton-mari-et-ta-famille,
ils t’ont déjà tourné le dos
et regardent le tube transparent
où défile ton dernier repas.
Ils parient si ce sont des pâtes ou du riz chinois.
Le médecin de garde se montre intransigeant :
c'est des carottes râpées.
Dégoûtant dit l’infirmière aux grosses lèvres.
Ils se sont écartés furieux,
parce qu’aucun n’avait gagné le pari.
Le sérum a baissé rapidement
et en dix minutes,
j’étais déjà de retour à la maison.
Il n’y avait aucun endroit où pleurer,
pas de temps pour sentir le froid et la peur.
Les gens ne s’occupent pas de la mort par excés d’amour.
Des choses d’enfants,
disent-ils,
comme si les enfants se suicidaient tous les jours.
J’ai cherché Hammett à la page exacte :
je ne dirai jamais un seul mot sur ta vie
dans aucun livre,
si je peux l’éviter.



El primer suicidio es único.
Siempre te preguntan si fue un accidente
o un firme propósito de morir.
Te pasan un tubo por la nariz,
con fuerza,
para que duela
y aprendas a no perturbar al prójimo.
Cuando comienzas a explicar que
la-muerte-en-realidad-te parecía-la-única-salida
o que lo haces
para-joder-a-tu-marido-y-a-tu-familia,
ya te han dado la espalda
y están mirando el tubo transparente
por el que desfila tu última cena.
Apuestan si son fideos o arroz chino.
El médico de guardia se muestra intransigente:
es zanahoria rallada.
Asco, dice la enfermera bembona.
Me despacharon furiosos,
porque ninguno ganó la apuesta.
El suero bajó aprisa
y en diez minutos,
ya estaba de vuelta a casa.
No hubo espacio donde llorar,
ni tiempo para sentir frío y temor.
La gente no se ocupa de la muerte por exceso de amor.
Cosas de niños,
dicen,
como si los niños se suicidaran a diario.
Busqué a Hammett en la página precisa:
nunca diré una palabra sobre tu vida
en ningún libro,
si puedo evitarlo.





Le cou
beau et long
plié vers les jambes
pense
         les mots les balbutiements l’enfant le marché le bureau
         le soir les claques le lit le café le service
         le riz la littérature le marché la voiture le gynécologue
         les pinces à linge l’éther les parents l’argent les reçus
         le journal la mort la révolution la campagne la cia
         les candidats les rats le i ching les pantoufles
         la honte la crème de jour la crème de nuit le lavage l’alcool
         la spirale la mort le marché la voisine les coups
         le téléphone les factures la maison
et crie.


El cuello
hermoso y largo
doblado hacia las piernas
piensa
         las palabras los balbuceos el niño el mercado la oficina
         el atardecer los manotazos la cama el café el servicio
         el arroz la literatura el mercado el automóvil el ginecólogo
         las pinzas el éter los parientes el dinero los recibos
         el periódico la muerte la revolución el campo la cia
         los candidatos los ratones el i ching las pantuflas el rubor
         la crema de día la crema de noche el lavado el trago
         la espiral la muerte el mercado la vecina los golpes
         el teléfono las facturas la casa
y grita.





La tristesse
se lève
à la porte de la rue.
Je n’ai pas été si cruelle
en vain,
je ne désire pas
en vain
chaque soir
que la mort soit simple et propre
comme une gorgée d’anis chaude
ou un battement de main dont l’écho se perd dans la montagne.



La tristeza
amanece
en la puerta de la calle.
No en vano
he sido tan cruel,
no en vano
deseo
cada tarde,
que la muerte sea simple y limpia
como un trago de anís caliente
o una palmada cuyo eco se pierde en el monte.



Miyó Vestrini s'est suicidée le 29 novembre 1991.