.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


jeudi 13 septembre 2012

Natalia Litvinova (1986 - Biélorussie/Argentine)



TES YEUX SONT DEVENUS MON CENDRIER

nuits et jours je t’ai écrit, la première phrase était la Russie n’existe pas, Paris n’existe pas.

mes mains se font de plus en plus invisibles, t’embrasser c’est baiser un mur blanc, et on ne s’est jamais embrassés.

je regarde ce corps tellement corps, combien l’ont aimé (qui pourrait aimer un corps perdu ?), combien d’hivers prématurés a-t-on fêtés sur son ventre ?

en marge de cette feuille s’écrit ma vie, et elle a peur et se tente poésie, vers clair qui échoue et redevient corps

je lis le testament de Kafka comme unique lettre d’amour. bientôt à Paris tombera la neige. en Russie aussi, une autre neige. viendra le printemps par le ventre.

ceux qui m’ont aimé essaieront de revenir à moi par la force.

mon cher, tes yeux sont devenus mon cendrier. t’embrasser c’est baiser l’inconvénient du temps.

je lis le testament de Kafka, la seule chose qui me reste.

tandis que reviennent, tranquilles, ceux qui me veulent sainte et nue.


TUS OJOS SE HAN VUELTO MI CENICERO


días y noches te he escrito, la primera frase era no existe Rusia, París no existe.

mis manos se vuelven más y más invisibles, besarte es besar una pared en blanco, y no nos hemos besado.

miro este cuerpo tan cuerpo, cuántos lo han amado (¿quién podría amar un cuerpo perdido?), cuántos inviernos prematuros festejaron en su vientre.

al margen de esta hoja se escribe mi vida, y se asusta y se intenta poesía, se intenta verso claro que fracasa y se vuelve cuerpo.

leo el testamento de Kafka como única carta de amor. pronto en París caerá la nieve. en Rusia también, otra nieve. vendrá la primavera por vientre.

los que me han amado intentarán volver a mí por la fuerza.

querido, tus ojos se han vuelto mi cenicero. Besarte es besar la desventaja del tiempo.

leo el testamento de Kafka, lo único que me queda.

mientras, regresan tranquilos los que me quieren santa y desnuda.