.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mardi 21 août 2012

Natalia Litvinova (1986 - Biélorussie/Argentine)






AUTRE NAISSANCE

j’arrache les boutons à la chemise de celui qui ne la porte pas.
c’est la première chose que je fais désespérément sachant que c’est la dernière.
parce qu’en premier fut la nudité et ensuite quelqu’un a créé l’homme.
et quand il s’est distrait/et quand il n’a plus prêté attention, je suis apparue.
je me suis assise tout proche, mon jean déchiré au genou,
son doigt a caressé la peau.

je ne me souviens pas avoir eu d’autre naissance.


OTRO NACIMIENTO

le arranco los botones a la camisa del que no la lleva.
es lo primero que hago con desesperación sabiendo que es cosa última.
porque primero fue la desnudez y solo después alguien creó al hombre.
y cuando se distrajo, aparecí yo.
me senté muy cerca, mi jean roto en la rodilla,
su dedo acarició la piel.

no recuerdo haber tenido otro nacimiento.


POUSSIÈRE

ma voix ne semble pas sortir de ma voix mais d’une autre gorge
qui gît dans les profondeurs de la mienne.
je suis comme un ensemble de murs qui entoure ce que je suis.
quelqu’un a dû construire cette muraille.
s’il existe des hommes qui volent comme des plumes pourquoi je ne
bouge pas quand je bouge ? j’ai l’odeur de la pierre et de la poussière,
je porte les traces de ceux qui me touchent.
je suis poussière, pierre, et qui est mon père je ne sais pas.


POLVO

mi voz no parece salir de mi voz sino de otra garganta
que yace en la profundidad de la mía.
soy como un conjunto de muros que rodea lo que soy.
alguien tuvo que haber construido esta muralla.
si hay hombres que vuelan como plumas ¿por qué yo no me
muevo cuando me muevo? huelo a pura piedra y polvo,
llevo huellas de los que me tocan.
soy polvo, piedra, y no sé quién es mi padre.


NUE

l’homme qui regarde en russe voit tout russe, l’homme qui regarde
en français voit tout français, la femme qui regarde en neige voit tout neige.
je regarde très fort les bouches, comme voulant les baiser,
si je suce les lèvres avec intensité, je pourrai en tirer un mot nouveau.
quand je sors nue je vois tout le monde nu, quand je sors avec tout le monde
je deviens seule, quand je suis seule souffle le vent,
l’homme qui regarde en silence me regarde.


DESNUDA

el hombre que mira en ruso ve todo ruso, el hombre que mira
en francés ve todo francés, la mujer que mira en nieve ve sólo nieve.
yo miro las bocas muy fuerte, como queriendo besarlas,
si succiono los labios con intensidad, podré sacar una palabra nueva.
cuando salgo desnuda veo a todos desnudos, cuando salgo con todos
vuelvo sola, cuando estoy sola sopla el viento,
el hombre que mira en silencio me mira.


JOURS NOIRS

il y a des jours blancs et des jours noirs.
avant ma naissance, un jour noir a explosé et tout est devenu si clair
que mon grand-père n’a plus vu les couleurs. ceux qui ont survécu
ont pu écrire leur nom sur la cendre et revenir
à l’obscurité du foyer.


DÍA NEGRO

hay días blancos y días negros.
antes de mi nacimiento, un día negro explotó y todo se volvió tan claro
que mi abuelo no pudo ver más colores. los que sobrevivieron
pudieron escribir sus nombres en la ceniza y regresar
a la oscuridad de su hogar.


COUPURE INVISIBLE


certains hommes ont la délicatesse brute des oiseaux.
pour me regarder ils ouvrent l’air, laissent le vent effiloché.
je sais que si je m’approche de l’un d’eux, si je réussis à m’approcher,
il me fera une coupure invisible.


CORTE INVISIBLE

algunos hombres tienen la delicadeza bruta de los pájaros.
por mirarme abren el aire, deshilachan al viento.
si me acerco a uno de ellos, si logro acercarme,
me hará un corte invisible.


CES MAINS

tout ce qui précède est mensonge. mais aussi tout ce qui suit.
voilà pourquoi je vis en marge, le regard baissé, à ras du sol.
près de la poussière et des plumes. où naissent les pas, atterrissent les papiers
et tout, tout ce qui ne fut pas donné à ces mains.


ESTAS MANOS

todo lo anterior es mentira. pero también lo posterior.
por eso vivo en el margen, con la mirada agachada, a ras del suelo.
junto al polvo y las plumas. donde nacen los pasos, aterrizan los papeles
y todo, todo lo que no le fue dado a estas manos.


PRIPIAT

je te pousserais loin de moi, vers un paysage propre.
je t’emmènerais jusqu’au souvenir du lombric que ma grand-mère
a coupé en deux avec une pelle et les moitiés continuaient à vivre.
ou vers le lieu secret où des fourmis cachaient leurs œufs
et d’autres les mangeaient.
ou à l’étable des poules et des porcs,
quand j’ai voulu donner à manger à l’un d’eux, il a essayé de m’arracher la main.
peut-être mieux en forêt, où l’on trouve fleurs, radiation et champignons,
là il n’y a pas de souvenirs.


PRÍPIAT

te empujaría lejos de mí, hacia un paisaje limpio.
te llevaría hasta el recuerdo del gusano que mi abuela
partió en dos con una pala y las mitades siguieron vivas.
o hacia el lugar secreto donde algunas hormigas escondían sus huevos
y otras se los comían.
o al establo de las gallinas y de los cerdos,
cuando quise darle de comer a uno, intentó arrancarme la mano.
quizás mejor al bosque, donde hay flores, radiación y hongos,
allí no hay recuerdos.


LE VENT DOIT COUPER LES TYMPANS

Le poisson a ouvert la bouche sous l’eau et prononcé ton nom
Moi j’allais à toute vitesse sur un cheval    Je prétendais fuir
ce qui vient tatoué sur le corps en naissant
Et j’ai écouté la voix de ton nom
J’ai griffé le cheval pour qu’il galope plus fort
Le vent doit couper les tympans
Mais ton nom a résonné
comme les battements du tambour dans une tribu qui espère la pluie
comme les éclaboussures de l’eau quand le saumon saute à contre-courant
comme le claquement des dents de l’ours devant l’astuce du saumon


EL VIENTO TIENE QUE CORTAR LOS TIMPANOS

El pez abrió la boca debajo del agua y pronunció tu nombre
Yo iba rápido sobre un caballo    Pretendía escapar
de lo que viene tatuado en el cuerpo al nacer
Y escuché la voz de tu nombre
Arañé al caballo para que galopara más fuerte
El viento tiene que cortar los tímpanos
Pero tu nombre resonó
como los latidos del tambor en una tribu que espera lluvia
como el salpicar del agua cuando el salmón salta contra la corriente
como el chasquido de los dientes del oso ante la astucia del salmón