.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mardi 21 août 2012

Myriam Montoya (1963 - Colombie)



Je viens de la nuit

Du rugissement de fauves
à l’affût
De la fuite par les mille portes
de l’obscurité

Je viens du feu
De la pulsation du cœur

Je viens des cantiques
du sommeil

Du culte des morts

Des enfants cachés
dans les arbustes du crépuscule

Je viens seule
agitant des rameaux
invoquant des rayons

Je viens de la nuit qui enfin
darde ses langues phosphorescentes

Je viens seule
passant la ligne du temps
avec le souffle de mon frère
qui vibre dans l’espace


Vengo de la noche

Del rugido de fieras
acechantes
De la huida por mil puertas
de la oscuridad



Vengo del fuego
de los latidos del corazón

Vengo de los cánticos
del sueño

Del culto de los muertos

De los niños ocultos
entre los arbustos del crepúsculo

Vengo sola
agitando ramos
invocando rayos

Vengo de la noche que al fin
arroja sus lenguas fosforescentes

Vengo sola
cruzando la línea del tiempo
con el aleteo vibrante
de mi hermano en el espacio



I

Doucement mon doigt prend ton pouls
gong répété
et je compte des millénaires de gestation
l’errance des continents
la goutte qui revient
ouvrant le passage à la mémoire
une profusion d’images de cet animal qui se dressant
le regard vers l’horizon jette la lance
écoute l’écho de son cri

II

Il y a dans tes battements les jours de pénuries
les accouchements sans fin peuplant le monde
les années ponctuelles de migrations et d’oublis
le piétinement des troupeaux
les rivières qui débordent
l’appréhension des fuites précipitées


les rapts et les incestes de théogonies lointaines
les ascensions d’abrupts
la faim et la soif sous la canicule
le feu et la clepsydre
la pleine mer annonçant les nuits de naufrages

III

De ton sang me parviennent
les voix rauques des tambours
les empires bâtis sur l’échine esclave
les préludes de guerre et de mort
les sabots ferrés les crinières rutilantes
les messagers du dieu de la vengeance

IV

Tes pulsations annoncent
les enclumes les marteaux
les engrenages les poulies
n’arrêtant pas de se multiplier
les rafales d’assauts
la respiration des survivants
le compte à rebours de la fin
le son
le silence
des foules s’aimant pour le dernier risque
les corps en mutation
qui cherchent l’accord
le passage vers l’infini


I

Tomo tu pulso con blandas yemas
gong repetido
cuento milenios de gestación
la errancia de los continentes
gota repitiéndose
abriendo paso a la memoria
caudal de imágenes del animal que al erguirse
mirando el horizonte lanza la jabalina
y escucha el eco de su grito

II

Vienen en tu pálpito días de penuria
incesantes partos poblando el mundo
años puntuales de migraciones y olvidos
trote de recuas
ríos salidos de madre
la aprehensión de estampidas
raptos e incestos de lejanas teogonías
ascensos por escarpados riscos
hambre y sed bajo la canícula
el fuego y la clepsidra
la pleamar anunciando noches de naufragios

III

Me llegan de tu sangre
roncos tambores
imperios construidos sobre el lomo esclavo
preludios de guerra y muerte
cascos herrados y crines relucientes
heraldos del dios de la venganza

IV

Tus pulsaciones anuncian
yunques y martillos
engranajes y poleas


que no paran de multiplicarse
ráfagas de batallas
respiración de sobrevivientes
descuento retrospectivo del fin
el sonido
el silencio
multitudes amándose en el riesgo último
la mudanza de los cuerpos
buscando el acorde
el pasadizo al infinito



La parole de la nuit monte
au-dessus des arbres et des murs
au-dessus du chant des oiseaux
au-dessus du grouillement de la foule

La parole de la nuit
s’enfonce derrière les montagnes

Les lèvres de la nuit
scellent d’un baiser la fatigue
la mort transitoire
la douleur qui palpite dans les tempes

La parole de la nuit
fait taire les villes
étouffe le bruit des trains
apaise les choses

Des lèvres de la nuit
sifflent les moussons
se lèvent les vagues
s’écoutent des voix majeures


La palabra de la noche se eleva
sobre paredes y árboles
sobre el canto de los pájaros
sobre el bullicio de la muchedumbre

La palabra de la noche
se hunde tras los montes

Los labios de la noche
sella con besos el cansancio
la muerte transitoria
el dolor palpitante en las sienes

La palabra de la noche
enmudece las ciudades
silencia los trenes
aquieta las cosas

En los labios de la noche
silban monzones
se empinan las olas
se escuchan voces mayores





De Traces/Huellas  Editions L’Oreille du Loup, 2009