.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


lundi 29 septembre 2025

Soledad Castresana (1979 - Argentine)

 



Tabou

 

Si on me coupe les deux seins, est-ce que je vais

pouvoir enfin marcher dans la rue la chemise

ouverte sans soutien-gorge pour que l’air

me baise la peau les jours de chaleur ?

 

Non. On n’a pas le droit non plus de montrer les cicatrices.

 

 Tabú

 

¿Será que si me cortan las dos teta, por fin

voy a poder andar por la calle con la camisa

abierta y sin corpiño para que el aire

me bese la piel en los días de calor?

 

No. Tampoco nos dejan mostrar las cicatrices.

 

 

Extraction de fibroadénome

  

On m’a obligée à retirer

le vernis noir de mes ongles,

les dix bagues, les cinq boucles d'oreilles,

le bracelet de cheville, les deux colliers,

mais j’ai réussi à mettre dans la salle d’opération

l’élastique crasseux

qui serrait ma petite tresse, ces cheveux

que je n’avais pas coupés en me rasant.

Je me suis réveillée triomphante. Je me fichais

aussi bien du résultat de la biopsie

que de la suture au mamelon.

  

Extracción de fibroadenoma

  

Me habían obligado a quitarme

el esmalte negro de las uñas,

los diez anillos, los cincos aros,

la tobillera, los dos collares,

pero logré meter al quirófano

el elástico mugriento

que apretaba mi trencita, ese pelo

que no había cortado cuando me rapé.

Desperté triunfante. No me importaba

el resultado de la biopsia,

ni la costura en el pezón.

 

 

Curetage

  

Je n’ai pas pu finir de nettoyer toute seule. Parfois

on ne peut pas tout faire. Il faut l’accepter.

 

Laisser quelqu’un d’autre gratter les parois de ton utérus

avec une petite cuillère aiguisée tandis que tu dors

profondément pour la première fois depuis longtemps

c’est aussi une forme d'amour.

  

Legrado

  

No pude terminar de limpiar sola. A veces una

no puede con todo. Hay que aceptarlo.

 

Hacer que otro raspe las paredes de tu útero

con una cucharita afilada mientras dormís

profundo por primera vez en mucho tiempo

es también una forma del amor.

 

 

Femme avec des marques sur l’abdomen

  

Au centre de mon abdomen j’ai un puits,

la cicatrice parfaite de la fille.

Ronde comme le monde, un étang

obscur où se noyer. Plus bas,

j’ai la marque de la mère :

une entaille tordue.

  

Mujer con marcas en el abdomen

  

En el centro del abdomen tengo un pozo,

la cicatriz de hija que es perfecta.

Redonda como el mundo, un estanque

oscuro donde hundirse. Más abajo,

tengo la marca de madre:

un tajo chueco.

 

 

Interruption involontaire

  

J’ai expulsé presque tous tes tissus et ton sang.

Expulser

c’est le mot qu’on utilise dans ces cas-là.

Mais je préfère dire que tu t’en allais.

J’aurais dû rassembler tes restes,

les mettre en terre. Mais non :

j’ai ouvert la douche et je suis restée là

à regarder les dessins que tu faisais avec l’eau.

Il n’y a pas moyen, t’ai-je dit, d’être dans ce monde

sans quelques parties dures.

  

Interrupción involuntaria

  

He expulsado casi todos tus tejidos y tu sangre.

Expulsar

es la palabra que se usa en estos casos.

Aunque yo prefiero decir que te ibas yendo.

Tendría que haber juntado esos restos tuyos,

haberlos puesto en la tierra. Pero no:

abrí la ducha y me quedé mirando

los dibujos que hacías con el agua.

No hay manera, te dije, de estar en este mundo

sin algunas partes duras.

 

samedi 12 octobre 2024

Mery Yolanda Sánchez (1956 - Colombie)

 


 

Les autres

Ils n’ont pas eu le temps d’avoir peur. Quand ils les ont coupés il y a d’abord eu la douleur, la bouche de la botte sur le visage. Vite le murmure de la scie s’est éloigné. Un oiseau a mangé le péché des viscères.

 

Leurs ombres suivent et ramassent les chapeaux dispersés par le vent.

 

Les femmes pissent n’importe où.

 

Les enfants sont devenus des vieux ligotés aux fils barbelés.

 

Trois territoires sous les éclats de rire des assassins.

 

Et leurs ombres aussi sont poursuivies, signalées et marquées par les oiseaux métalliques, maîtres du ciel.

 

Los otros

 

No alcanzaron a sentir miedo. Cuando los cortaron el dolor llegó primero, la boca de la bota en la cara. Pronto el susurro de la sierra fue lejano. Un pajarito almorzó los pecados de las vísceras.

 

Sus sombras siguen y recogen los sombreros que atajó el viento.

Las mujeres orinan cualquier lugar.

 

Los niños se volvieron ancianos amarrados a los alambres de púa.

 

Tres territorios debajo de las carcajadas de los asesinos.

 

Y sus sombras también son perseguidas, señaladas y marcadas desde los pájaros metálicos, dueños del cielo.