.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.
Ossip Mandelstam
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.
Ossip Mandelstam
lundi 27 août 2012
Rafael Cadenas (1930 - Venezuela)
Défaite
Moi qui n’ai jamais eu de métier
qui face à tout concurrent me suis toujours senti faible
qui ai perdu les meilleurs titres pour la vie
qui tout juste arrivé à un endroit déjà veux le quitter (croyant que déménager est une solution)
qui fus nié par anticipation et raillé par les plus aptes
qui m’appuie aux murs pour ne pas tomber complètement
qui suis objet de rire pour moi-même
qui ai cru que mon père était éternel
qui ai été humilié par des professeurs de littérature
qui un jour ai demandé à quoi je pouvais aider et la réponse fut un éclat de rire
qui ne pourrai jamais former un foyer, ni être brillant, ni triompher dans la vie
qui ai été abandonné par plein de gens parce que je ne parle presque pas
qui ai honte d’actes que je n’ai pas commis
qui ai failli de peu me retrouver à la rue
qui ai perdu un centre que je n’ai jamais eu
qui suis devenu la risée de beaucoup de monde pour vivre la tête ailleurs
qui ne trouverai jamais qui me supportera
qui fus écarté au nom de personnes plus misérables que moi
qui continuerai toute la vie ainsi et qui l’année prochaine serai encore plus moqué de ma ridicule ambition
qui suis fatigué de recevoir des conseils d’autres plus assommants que moi (« Vous êtes trop inerte, secouez-vous, réveillez-vous »)
qui jamais ne pourrai voyager en Inde
qui ai reçu des faveurs sans rien donner en échange
qui déambule en ville d’un côté à l’autre comme une plume
qui me laisse emporter par les autres
qui n’ai pas de personnalité ni ne veux en avoir
qui tout le jour étouffe ma rébellion
qui ne me suis pas engagé dans les guérillas
qui n’ai rien fait pour mon peuple
qui ne suis pas des FALN et me désole pour toutes ces choses et d’autres dont l’énumération serait interminable
qui ne peux sortir de ma prison
qui ai été exclu de partout comme inutile
qui en réalité n’ai pu me marier ni aller à Paris ni avoir un jour tranquille
qui me refuse à reconnaître les faits
qui toujours bave sur mon histoire
qui suis idiot et plus qu’idiot de naissance
qui ai perdu le fil du discours qui s’élaborait en moi et n’ai pu le retrouver
qui ne pleure pas quand je sens le désir de le faire
qui arrive en retard à tout
qui me suis détruit en tant de marches et contremarches
qui désire l’immobilité parfaite et la hâte impeccable
qui ne suis pas ce que je suis ni ce que je ne suis pas
qui malgré tout ai un orgueil satanique bien qu’à certaines heures j’aie été humble au point de m’égaler aux pierres
qui ai vécu quinze ans dans le même milieu
qui me suis cru prédestiné à quelque chose de hors du commun et n’ai rien réussi
qui jamais n’utiliserai de cravate
qui ne trouve pas mon corps
qui ai perçu par éclairs ma fausseté et n’ai pu m’abattre, balayer tout et créer de mon indolence, de mon flottement, de ma perte une nouvelle fraîcheur, et obstinément me suicide avec ce que j’ai à portée de main
je me relèverai plus ridicule encore pour continuer à me moquer des autres et de moi jusqu’au jour du jugement dernier.
Derrota
Yo que no he tenido nunca un oficio
que ante todo competidor me he sentido débil
que perdí los mejores títulos para la vida
que apenas llego a un sitio ya quiero irme (creyendo que mudarme es una solución)
que he sido negado anticipadamente y escarnecido por los más aptos
que me arrimo a las paredes para no caer del todo
que soy objeto de risa para mí mismo
que creí que mi padre era eterno
que he sido humillado por profesores de literatura
que un día pregunté en qué podía ayudar y la respuesta fue una risotada
que no podré nunca formar un hogar, ni ser brillante, ni triunfar en la vida
que he sido abandonado por muchas personas porque casi no hablo
que tengo vergüenza por actos que no he cometido
que poco me ha faltado para echar a correr por la calle
que he perdido un centro que nunca tuve
que me he vuelto el hazmerreír de mucha gente por vivir en el limbo
que no encontraré nunca quién me soporte
que fui preterido en aras de personas más miserables que yo
que seguiré toda la vida así y que el año entrante seré muchas veces más burlado en mi ridícula ambición
que estoy cansado de recibir consejos de otros más aletargados que yo ("Ud. es muy quedado, avíspese despierte")
que nunca podré viajar a la India
que he recibido favores sin dar nada a cambio
que ando por la ciudad de un lado a otro como una pluma
que me dejo llevar por los otros
que no tengo personalidad ni quiero tenerla
que todo el día tapo mi rebelión
que no me he ido a las guerrillas
que no he hecho nada por mi pueblo
que no soy de las FALN y me desespero por todas esas cosas y por otras cuya enumeración sería interminable
que no puedo salir de mi prisión
que he sido dado de baja en todas partes por inútil
que en realidad no he podido casarme ni ir a París ni tener un día sereno
que me niego a reconocer los hechos
que siempre babeo sobre mi historia
que soy imbécil y más que imbécil de nacimiento
que perdí el hilo del discurso que se ejecutaba en mí y no he podido encontrarlo
que no lloro cuando siento deseos de hacerlo
que llego tarde a todo
que he sido arruinado por tantas marchas y contramarchas
que ansío la inmovilidad perfecta y la prisa impecable
que no soy lo que soy ni lo que no soy
que a pesar de todo tengo un orgullo satánico aunque a ciertas horas haya sido humilde hasta igualarme a las piedras
que he vivido quince años en el mismo círculo
que me creí predestinado para algo fuera de lo común y nada he logrado
que nunca usaré corbata
que no encuentro mi cuerpo
que he percibido por relámpagos mi falsedad y no he podido derribarme, barrer todo y crear de mi indolencia, mi flotación, mi extravío una frescura nueva, y obstinadamente me suicido al alcance de la mano
me levantaré del suelo más ridículo todavía para seguir burlándome de los otros y de mí hasta el día del juicio final.