.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


samedi 12 octobre 2024

Mery Yolanda Sánchez (1956 - Colombie)

 


 

Les autres

Ils n’ont pas eu le temps d’avoir peur. Quand ils les ont coupés il y a d’abord eu la douleur, la bouche de la botte sur le visage. Vite le murmure de la scie s’est éloigné. Un oiseau a mangé le péché des viscères.

 

Leurs ombres suivent et ramassent les chapeaux dispersés par le vent.

 

Les femmes pissent n’importe où.

 

Les enfants sont devenus des vieux ligotés aux fils barbelés.

 

Trois territoires sous les éclats de rire des assassins.

 

Et leurs ombres aussi sont poursuivies, signalées et marquées par les oiseaux métalliques, maîtres du ciel.

 

Los otros

 

No alcanzaron a sentir miedo. Cuando los cortaron el dolor llegó primero, la boca de la bota en la cara. Pronto el susurro de la sierra fue lejano. Un pajarito almorzó los pecados de las vísceras.

 

Sus sombras siguen y recogen los sombreros que atajó el viento.

Las mujeres orinan cualquier lugar.

 

Los niños se volvieron ancianos amarrados a los alambres de púa.

 

Tres territorios debajo de las carcajadas de los asesinos.

 

Y sus sombras también son perseguidas, señaladas y marcadas desde los pájaros metálicos, dueños del cielo.

 


mercredi 1 février 2023

Cristina Peri Rossi (1941 - Uruguay)


POINT DE RENCONTRE


Je suis tombée sur mon ancien professeur de philosophie
dans un énorme sex-shop presque vide, à part
les cabines des immigrés qui se tapent une branlette.
Moi j’aime bien les sex-shops parce qu’ils me rappellent
les magasins de jouets de mon enfance. J’avais toujours voulu
rester enfermée dans un magasin de jouets,
mais je n’avais pas envie de rester enfermée dans un sex-shop,
simplement d’y jeter un oeil. Ce sex-shop me rappelait aussi
une bibliothèque, avec ses rayons
et ses classements, ici porno hardcore, là vidéos gays, ici
sadomaso, là queers et travestis.
Il n’y avait personne dans le sex-shop, à part le prof et moi,
on n’a pas pu faire autrement que de se saluer et d’échanger
quelques mots.
– J’ai lu ton dernier livre de poèmes – m’a-t-il dit. J’ai beaucoup
aimé. C’est puissant.

C’était la première fois qu’on qualifiait ainsi un de mes livres,
et ça m’a plu. Il n’y avait pas un seul adjectif à ajouter. Puissant.
Comme une Porsche dernière génération.
– Moi j’ai lu vos articles sur la dispute entre Leibniz et
Hobbes – lui ai-je dit – dans le dernier numéro de la revue
de l’université.
À ce moment-là est entré un homme avec une femme. Ils ont
demandé une bite de vingt-huit centimètres de long et cinq
de diamètre et un bon lubrifiant antiallergique, parce que le
dernier qu’ils avaient acheté leur avait provoqué une éruption
au pénis et une papule au clitoris.
– J’ai aussi écrit sur les lettres de Simone de Beauvoir à Sartre
– m’a-t-il informée. Les dernières lettres, les inédites.
Le vendeur leur expliquait comment il fallait mettre les piles
dans le vibromasseur et l’homme lui a demandé s’il lui ferait
un prix si en plus il prenait une cravache avec un manche en
cuir.

– Celles qui ont été publiées après sa mort ? – j’ai demandé
au professeur. Je ne les ai pas encore lues.
On était dans le rayon des gros seins, mais on ne regardait
nulle part, comme si nous étions au parc. J’ai pensé que je
lui barrais le chemin vers une des cabines, alors j’ai pris un
film sur les orgasmes multiples entre bisexuelles et je me suis
dirigée vers la caisse.
– Je t’enverrai l’article quand il sera publié – m’a dit le professeur,
sans bouger du rayon.
Les cabines étaient à quelques mètres.
Je suis sortie du sex-shop en me disant que j’avais dépensé
quinze euros pour un film que je ne voulais pas. Moi je voulais
celui des gros nichons.


PUNTO DE ENCUENTRO


Me encontré con mi antiguo profesor de filosofía
en un enorme sex shop casi vacío, si descontábamos
las cabinas de los inmigrantes que se hacen la paja.
A mí me gustan los sex shop porque me recuerdan
las jugueterías de mi infancia. Siempre había querido
quedar encerrada en una juguetería,
pero no tenía ganas de quedarme encerrada en el sex shop,
solo echarle un vistazo. Ese sex shop me recordaba también
a una biblioteca, con sus anaqueles de separación
y sus clasificados, aquí porno duro, aquí videos gay, aquí
sadomaso, allá queers y travestis.
No había nadie en el sex shop, salvo el profe y yo, de modo
que no tuvimos más remedio que saludarnos e intercambiar
algunas palabras.
–Leí tu último libro de poemas –me dijo–. Me gustó mucho. Es
poderoso.

Era la primera vez que alguien calificaba así uno de mis libros,
y me gustó. No había que agregar un solo adjetivo más.
Poderoso. Como un Porsche última generación.
–Yo leí sus artículos sobre la disputa entre Leibniz y Hobbes –le
dije– en el último número de la revista de la universidad.
En ese momento entró un hombre con una mujer. Pidieron un
pene de veintiocho centímetros de largo y cinco de diámetro y un
buen lubricante que fuera antialérgico, porque el último que habían
comprado le había hecho salir un sarpullido en el pene y a ella un
habón en el clítoris.
–También he escrito otro sobre las cartas de Simone de Beauvoir a
Sartre –me informó–. Las últimas cartas, las inéditas.
El vendedor les estaba explicando cómo había que meter las pilas
en el vibrador y el hombre de la pareja le dijo si hacían descuento
si además se llevaba una fusta con manguito de cuero.

–¿Las que se publicaron después de su muerte? –le pregunté al profesor–.
No las leí todavía.
Estábamos en la sección correspondiente a grandes tetas, pero no
mirábamos hacia ningún lado, como si estuviéramos en el parque.
Yo pensé que le estorbaba el camino hacia una de las cabinas, así
que cogí una película sobre orgasmos multiples entre bisexuales y me
dirigí a la caja.
–Te mandaré el artículo en cuanto se publique –me dijo el profesor,
sin moverse del pasillo. Las cabinas estaban a pocos metros.
Salí del sex shop pensando que me había gastado quince euros en una
película que no quería. Yo quería la de grandes tetas.

 



Ana Arzoumanian (1962 - Argentine)

 

Milena ou les lettres sans adresse (fragment)

 

  C’est ce qui reste de Milena. C’est ce que me dit ton ami du camp. Et moi je pensais à la grammaire, aux verbes transitifs. Écorcher. Quitter la peau, équarrir, dépecer. Les Assyriens clouaient la peau écorchée sur les murs de leur ville. En général on essayait de maintenir intacte la portion de peau arrachée.

  Le coup naît de la mort du mouvement.

  Le bœuf écorché de Rembrandt, la représentation d’une fin. Une femme qui épie l’intérieur, au fond du tableau. Un intérieur, une cave, une femme avec une coiffe. La femme du boucher et au premier plan : le bœuf pendu à une barre de bois.

  Arracher la peau des pattes arrières vers l’avant et la tirer en un seul morceau. Retirer le pelage en direction des épaules. Le pelage est un peu plus tendu. Couper par en dessous, aux membranes.

  Pendant le dépeçage et l’étirement les parties génitales seront encore unies au pelage.

  Je dépèce doucement en arrivant aux avant-bras. C’est une zone très grasse. J’utilise les doigts et j’y vais doucement. Je retire le pelage en-dessous des épaules jusque près des coudes. Je fais une petite coupure.

  J’observe le visage. Avec le couteau je coupe autour des yeux et des oreilles. Je continue de retirer le pelage jusqu’à le détacher presque complètement.

  Un grattoir à viande est un petit couteau affilé qu’on utilise pour retirer la chair sur le pelage.

  Je me répète : faire attention de ne pas me couper.

  Je laisse le pelage suspendu dans un lieu frais et obscur, un jour ou une semaine.

  C’est ce qui reste de Milena, me dit ta compagne de camp.

  Une amie, un cadeau, une dent. Première preuve irréfutable de ta mort.

  Dans cet amour toi tu es le couteau avec lequel je m’explore, t’écrivait Franz dans une lettre de septembre 1920.

  Je n’ai pas pensé à toi quand on a sonné à la porte, maman.

  Une chauve-souris, un corps vivipare qui est un mammifère et non un oiseau. C’est le nectar qui brille, non le vol. Absente de sa mère, cette goutte de lait. Je m’approche. Trouble, l’odeur savonnée de viscères. C’est là, là, où je pense lui arracher un morceau pour me souvenir du trou puant.

  Je n’ai pas pensé à toi quand on a sonné à la porte, maman.

 

 

 

  Esto es lo que queda de Milena. Eso me dijo tu amiga de campo. Y yo pensaba en gramáticas, en verbos transtivos. Desollar. Quitar la piel,  cuerear, despellejar. Los asirios clavaban la piel desollada en el muro de su ciudad. Generalmente se intentaba mantener intacta la porción de piel arrancada.

  El golpe nace  de la muerte del movimiento.

  El buey desollado de Rembrandt, la representación de un final. Una mujer que atisba el interior, al fondo del cuadro. Un interior, un sótano, una mujer con cofia. La mujer del carnicero y en primer plano: el buey colgado de una barra de madera.

  Sacar la piel desde las patas traseras hacia delante estirándolo en una sola pieza. Retirar el pelaje en dirección a los hombros. El pelaje es un poco más tenso. Cortar por debajo, en las membranas.

  Durante el despellejamiento y estiramiento los genitales estarán todavía unidos al pelaje.

  Desuello despacio al llegar a los antebrazos. Es una zona muy grasosa. Uso los dedos y voy despacio. Retiro el pelaje por encima de los hombros hasta llegar cerca de los codos. Hago un pequeño corte.

  Observo la cara. Con el cuchillo corto alrededor de los ojos y los oídos. Sigo retirando el pelaje hasta que sale casi por completo.

  Un raspador de carne es una cuchilla pequeña y afilada que se usa para retirar la carne que se encuentra en el pelaje.

  Me repito a mí misma: tener cuidado de no cortarme.

  Dejo el pelaje colgado de un lugar fresco y oscuro, un día o una semana.

  Esto es lo que queda de Milena, me dice su compañera de campo.

  Una amiga, un regalo, un diente. Primera prueba irrefutable de que estabas muerta.

  En este amor vos sos un cuchillo con el cual yo me exploro, te escribía Franz en una carta de septiembre de 1920.

  No pensé en vos cuando tocaron la puerta, mamá.

  Un murciélago, un cuerpo vivíparo que es un mamífero y no un pájaro. Es el néctar lo que brilla, no el vuelo. Ausente de su madre, esa gota de leche. No tiene nombre lo que se ahueca, es puro ruido. Me acerco. Turbio el olor enjabonado de vísceras. Es ahí, ahí, donde pienso que le arrancaré un pedazo por recordarme el hueco maloliente.

  No pensé en vos cuando tocaron la puerta, mamá.