.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


vendredi 7 avril 2017

Vientre de luz/Ventre de lumière - Fadir Delgado (1984)





Procession de gouttes


Il pleut
et c’est une pluie qui tombe en silence
sans mots
Elle ne tombe que dans sa solitude
dans sa terrible et somnambule solitude

Elle ne parvient même pas à réveiller les toits endormis
Elle ne parvient même pas à l’aboiement du chien
Elle ne parvient même pas à prononcer un nom

C’est une pluie qui tombe morte
Ses gouttes sont des esprits
des ombres d’autres ombres
des ombres d’autres gouttes

Vois et lève ses morts
Vois et lève les morts de la pluie
qui sautent et se collent comme des acariens
à la rue
à la douleur et l’imposture de la rue
et
la rue n’est rien d’autre qu’un sépulcre
qui doit avaler des morts et encore des morts
des morts qu’elle n’a pas demandés
des morts dont elle se fout
dont elle n’a pas besoin
qui la cherchent comme le dernier lieu pour se brûler
des morts
Il y a des gouttes de pluie qui deviennent des bagues aux doigts
ou des poissons
sur le toit
Il y a des gouttes de pluie qui se garent dans les yeux pour
effrayer les larmes
pour soigner les verres
les verres tranchants
et ivres

Mais ce qui tombe dehors
ce qui tombe n’est qu’une procession de gouttes
fils funèbres de gouttes
qui nous crache au visage
qui nous jettent au visage
tous nos morts.


Procesión de gotas


Llueve
y es una lluvia que cae en silencio
sin palabras
Sólo cae en su soledad
en su terrible y sonámbula soledad

Ni siquiera logra despertar a los techos dormidos
Ni siquiera logra el ladrido del perro
Ni siquiera logra pronunciar un nombre

Es una lluvia que cae muerta
Sus gotas son espíritus
sombras de otras sombras
sombras de otras gotas

Ve y levanta sus muertos
Ve y levanta los muertos de la lluvia
que saltan y se le pegan como ácaros
a la calle
a la adolorida y farsante calle
y
la calle no es más que un sepulcro
que le toca tragar muertos y más muertos
muertos que no pidió
muertos que no le importan
que no necesita
que la buscan como el último lugar para quemarse
muertos
Hay gotas de lluvia que se vuelven sortijas en los dedos
o peces
sobre el tejado
Hay gotas de lluvia que se estacionan en los ojos para
espantar la lágrima
para curar los cristales
los ebrios y
filosos cristales

Pero eso que cae afuera
eso que cae es sólo una procesión de gotas
hilos fúnebres de gotas
que nos arrojan a la cara
que nos echan en cara
todos nuestros muertos.